Sous l’Ancien régime, en France, on était partout des étrangers…
15 Décembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique
Cette petite histoire des colonies françaises est non seulement à se tordre de rire, mais d’une pertinence folle, qui s’ouvre sur notre problématique francité, une création au forceps, avant que de reposer la question de l’immigration à l’intérieur de ce champ identitaire décidément ambigu.
Car en effet, sous l’Ancien Régime, en France, on était bien partout des étrangers… Chacun parlait son patois et les français, pas tous, savaient vaguement qu’il y avait un Roi qui les gouvernait et qui tenait plus ou moins son pouvoir de Dieu et qu’ils pouvaient être tirés au sort pour aller faire ses guerres, et c’était à peu près tout… Ils devinaient qu’ils étaient français parce qu’ils vivaient à l’intérieur de frontières, mais sans trop savoir ce que c’était au juste que ce droit du sol. On habitait là où on habitait, et c’était bien suffisant. A la cour, ça jactait dans vingt-trois langues… Et puis dans la foulée il y a eu un truc très fort : la Révolution. Ça a mieux soudé le sentiment national que toutes ces lois idiotes que les grands de ce monde rédigeaient pour nous contraindre. Plus tard à la capitale, on racontait que les flamandes, à ce qu’on disait, faisaient d’excellentes bonniches. Mais le filon belge s’épuisant, les bourgeois durent se tourner vers les Italiens, qui étaient beaux comme des dieux et fumaient des cigarettes sans filtres, puis des tas d’autres encore… Les choses sérieuses avec les étrangers ont commencé avec la Grande Guerre. D’abord on s’est tous mis à parler français –dommage que la bande dessinée ne se soit pas documentée sur ce moment crucial de l’unité linguistique de la France, qui ne s’est vraiment mise à parler français qu’avec la guerre de14-18… Bref, on a enrôlé des centaines de milliers de nos indigènes des colonies pour les envoyer faire les martyrs au front. Mais en 1918, on savait plus trop quoi faire de ceux qui n’étaient pas morts. Alors on les réexpédia chez eux à grands coups de pied aux fesses, en attendant la prochaine guerre. Dans les années 20, la France était le premier pays importateur d’immigrés au monde, en comparaison à son nombre d’habitants. C’est qu’on en avait drôlement besoin ! Il en venait de tous les coins du monde, et même des américains. Mais eux, c’étaient ceux qui s’intégraient le plus mal et qui causaient les plus grands soucis : ils voulaient pas payer d’impôts, ni les retenues sur leurs salaires. On leur a fait plein de procès, et puis ils ont fichu le camp avec l’argent des français et on n’en a plus parlé. Heureusement qu’on avait gardé nos colonies : nos indigènes étaient plus dociles. Enfin… presque : après 45, ils ont joué un rôle de tout premier plan dans les grèves et autres révoltes ouvrières qui ont saisi la France au sortir de la guerre. Heureusement qu’on avait encore un peu d’armée pour les mater. Ensuite ça s’est envenimé. On avait tourné la page avec les allemands, mais on voulait pas la tourner avec les algériens. On est donc resté en guerre.
Cela dit, très dramatiquement, l’ouvrage rappelle que les immigrés, en France, avant d’être des étrangers, sont des pauvres. Il n’y a pas de problème d’immigration en France : il y a un problème de pauvreté.
Petite Histoire des Colonies Françaises, T. 5 : Les immigrés, Otto T. et Grégory Jarry, éd. FLBLB, Coll. Documentaire, nov. 2012, 128 pages, 13 euros, ISBN-13: 978-2357610422.
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