SKYNET : Les marchés financiers contre la société
Quel est l’intérêt de nous faire croire que les valeurs en bourse reflètent la santé d’une entreprise, a fortiori d’une économie nationale ? «Il est appréciable que le peuple de cette nation ne comprenne rien au système bancaire et monétaire», affirmait Henry Ford. «Car si tel était le cas, ajoutait-il, nous serions confrontés à une révolution avant demain matin». Nous sommes plus que jamais dans ce cas de figure. Les évolutions funestes, aux yeux mêmes de ceux qui les ont programmées, des marchés financiers, se trouvant résolument tues par des médias stipendiés. Comment fonctionnent les marchés financiers, aujourd’hui ? Tout le monde le sait en fait, du moins dans les sphères du Pouvoir économique autant que Politique, sinon médiatique. Mais nul ne veut, parmi ces dirigeants élus et ces hommes d’affaires sans scrupule, l’évoquer publiquement. On peut dès lors se demander si notre Ministre des Finances est bien à sa place dans le fauteuil que le Président de la République Française lui a confié, voire si ce dernier, élu du Peuple, en charge de ses intérêts, y est vraiment lui aussi à sa place. L’essai, anonyme, Le Soulèvement des machines, constitue de ce point de vue la diagnose la plus cinglante d’une époque politique qui n’en finit pas d’agoniser, mais qui jusqu’au bout aura parié sur l’insane et la trahison avec un culot qui n’appelle qu’à la révolte la plus profonde des peuples qui la subissent. Alors à quoi ressemblent ces marchés aujourd’hui ? Leur évolution s’est accélérée ces six dernières années, à la faveur d’une pseudo crise orchestrée un en fantastique complot néo-libéral contre les sociétés et les peuples. L’ouvrage en décrit les étapes, qui sont celles de l’informatisation et de la privatisation d’un marché originellement décisif pour l’évolution des économies publiques. C‘est du coup toute l’histoire de la Bourse qui nous est livrée là, et celle du CAC 40 (Cotation Assisté en Continu), dont on nous rebat les oreilles à longueur de journée en nous faisant croire, précisément, qu’il n’est que le reflet de la santé de notre économie ! Mais lisez l’ouvrage, tellement documenté sur cette évolution décryptée phase après phase : il n’aura jamais été question, dans les hautes sphères de la société comme on dit sans vergogne, que de faire sauter le filtre humain pour libérer les profits à des hauteurs inconnues dans toute l’histoire de l’humanité. Qui sait par exemple que depuis 2007, les marchés financiers sont en réalité détenus par les banques ? Qui connaît Getco ou Tradebot, ces sociétés privées de technologies financières qui y font la pluie et le beau temps ? Qui parle de ces plateformes électroniques inventées par les banques pour générer des profits monstrueux sur le dos des sociétés civiles ? Comme Turquoise, créée en 2008 par BNP-Paribas, la Société Générale, Citigroup, le Crédit Suisse, la Deutsche Bank, Goldman Sachs, où le marché n’est plus qu’un réseau de machines interconnectées calculant nuit et jour les profits qu’il est possible de tirer des failles des législations des pays européens ? Qui a entendu parler de NYSE Euronex, une entreprise privée en fait, mais l’une des places financières la plus importante en Europe, où se joue le destin de nombre de nos entreprises ? Ou bien Chi-x Europe, deuxième marché financier européen, détenue par le Crédit Suisse, Morgan Stanley, Deutsche Bank, Morgan Chase, etc. ?...
Jusque-là, les marchés étaient neutres et enregistraient en effet la bonne ou la mauvaise santé des entreprises. Mais aujourd’hui, ils sont devenus d’immenses jeux d’adresse, où les titres boursiers changent de propriétaires toutes les 25 secondes ( !) en moyenne, pour générer des profits complètement déconnectés de l’économie réelle. Il ne s’agit plus de distribuer du capital aux entreprises, mais de le faire tourner artificiellement pour empocher au passage, en empilant les centimes d’euros dans une rotation portant sur des volumes effarants (22 milliards de cotations par jour au New York Stock Exchange), des dividendes conséquents. On le voit : le but de ces marchés financiers n’est pas du tout de guider l’évolution des économies, mais de jouer sur les failles du marché, voire de les provoquer artificiellement pour empocher un maximum d’argent. Comment cela ? Un exemple entre autre de ces pratiques soigneusement analysées dans l’essai, déployées par des algorithmes qui se livrent une concurrence forcenée au sein de ces marchés pour faire baisser de quelques dixième de centimes une action, l’acheter et la revendre dans des temps ne dépassant pas quelques secondes, après avoir pesé sur son cours à la hausse, bien évidemment… Toutes ces pratiques tournent autour des mêmes principes, autant celle du layering (empilements d’ordres), du spoofing (émission d’ordres trompeurs), des flash orders que toutes celles qui relèvent du bourrage d’ordres, consistant à submerger le marché d’ordres aussitôt annulés, pour que les algorithmes concurrents se ruent dessus pour les analyser, leur faisant perdre quelques secondes précieuses pendant lesquelles l’acteur du bourrage en profite pour procéder en toute tranquillité (relative) à une vraie opération… Le gagnant de la course, au jour le jour, est celui qui possède l’algorithme le plus puissant et le plus rapide. Pour le reste, il ne s’agit que d’un vulgaire jeu de stratégie, où il faut savoir avancé masqué et feinter l’adversaire pour empocher de substantiels bénéfices… Voilà le type de jeu auquel se livrent désormais ceux que l’on appelle les traders «haute fréquence»… Le but des marchés financiers, on le voit, n’est plus du tout de guider l’évolution de l’économie. La prise de pouvoir des machines sur les opérations financières, ce « soulèvement des machines », est du reste le nom même donné par la Réserve Fédérale américaine pour désigner ce mécanisme dont les plus grands initiateurs de ce jeu ont récemment conclu, en 2012, à Paris, qu’il était devenu infiniment dangereux… Bat Global Market s’en souviendra, dont le titre entré en bourse le 23 mars 2012 fut anéanti en quelques secondes par le travail d’algorithmes malveillants. Mais rien n’y fait. Les traders à haute fréquence s’exercent jour après jour à opérer tout près d’une nouvelle débâcle financière mondiale. Avec en outre un cynisme éhonté : Guérilla fut ainsi le nom donné à un algorithme particulièrement agressif, créé le 3 septembre 2012 par la Banque de Crédit Suisse First Boston, une banque d’investissement. Une guérilla que se livrent les mathématiciens encouragés par les grandes banques mondiales à générer de nouveaux algorithmes destinés à espionner ou annihiler leurs concurrents, jusqu’à l’effondrement inéluctable du marché (« ça va arriver, c’est imparable ») prédit, par les mêmes. Où sont les ennemis de cette Finance-là ? On les cherche encore…
6, Le soulèvement des machines, anonyme, traduit de l’anglais par Ervin Karp, Zones Sensibles Editions, 16 février 2013, 111 pages, 12,06 euros, ISBN-13: 978-2930601069.
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