Ruptures post-coloniales : les nouveaux visages de la société française.
Il y a deux jours de cela, les élèves du lycée René Cassin, dans le XVIème arrondissement huppé de Paris, ont agressé en bande un jeune rrom. lL police a dû inetrvenir pour éviter son lynchage. De très nombreux autres jeunes lycéens ont alors rallié le clan de cette barbarie pour tenter de soustraire le jeune rrom à la protection de la police... Les rroms sont aujourd'hui l'objet d'un racisme qui ne cache plus son nom, encouragé au plus haut sommet de l'état... Haro sur les rroms, on se croirait revenu aux temps de l'Action française... Le racisme anti-musulman, lui, a fait surface dans le lit de ce même racisme d'état stigmatisant une population discriminée à cause de sa religion et de ses origines ethniques, bien que là encore, poitant du doigt une population en réalité française depuis plusieurs générations désormais... Voici que la France refabrique, comme au bon vieux temps des colonies, des citoyens, européens ou français dépouillés de leurs droits le splus fondamentaux... Des sous-citoyens français. L'Histoire est nauséabonde, qui rappelle ces massacres ordonnés de la france coloniale. Pour parenthèse, le dernier massacre que la République française se soit autorisé date de l'année 1967 et n'a jamais donné lieu à aucun repentir...
De la fracture coloniale aux ruptures post-coloniales… L'ouvrage collectif dont il est fait mention ici est des plus revigorants pour la pensée en France (et non la pensée française). Edward Saïd en exergue, expliquant que nous disposions naguère d’une raison commode pour justifier nos égarements : chaque peuple avait (soit-disant) son identité, mais une seule. Une explication quelque peu réductrice qui envisageait les relations entre les peuples sur un modèle très simpliste, les enfermant chacun dans les belles cages dorées de cultures nécessairement écrites (…) sans concession depuis leurs orgueilleuses solitudes… Des cultures nationales quand l’heure fut venue, n’offrant aucune porosités entre elles –les savants en juraient-, soustraites avec bonheur à l’influence des modèles étrangers. Une antienne qui n’était en outre pas à une contradiction près, hiérarchisant évidemment ces cultures entre elles pour tailler à l’Occident la part du lion et décrire avec force arrogance la franche authenticité -quoique passablement rustique-, des cultures "mineures". Comment, désormais, penser le monde et les relations entre les nations de ce monde dans un périmètre aussi étriqué ?
Voici un livre stimulant qui vient moins panser les plaies ouvertes par les contradictions de ce vieux modèle civilisationnel que nous inciter à repenser radicalement notre vision de ce même monde, et sa globalisation. Vue de l'Europe, cette dernière n'a fait qu'ouvrir en grand les vannes des peurs archaïques, des passions xénophobes, cultivant à loisir le fantasme d’une Europe assiégée par des hordes barbares...
Mais comment n’a-t-on pu voir que le plus grand fait de ces trente dernières années aura été celui des flux migratoires, celui de la montée en puissance des minorités visibles (des gays aux minorités ethniques), celui de la démultiplication des modes de vie et des imaginaires culturels ? Comment n’a-t-on pu comprendre que la modernité ne pouvait que se conjuguer au pluriel ?
Voici un livre contraignant pour la pensée dominante, qui fait retour sur un autre impensé soigneusement dissimulé : l’impensé colonial. Un impensé qui nous a conduit tout droit à cette mise en scène publique ridicule, sinon abjecte, du faux problème de l’immigration. Un impensé qui ne nous a pas permis de comprendre ce que les émeutes urbaines, tout comme les émeutes d’outremer, exprimaient : les périphéries s’invitaient au centre de l’Hexagone pour contraindre la France à assumer enfin son devenir post-colonial. Prolifération des différences, fragmentation de l’espace public, comment nos hommes politiques ne parviennent-ils pas à réaliser qu’il nous faut désormais explorer de nouvelles dimensions du Vivre ensemble, de nouveaux territoires du social, du culturel, du politique, si l’on veut répondre réellement à la crise qui menace toujours de nous replier stupidement sur une vergogne sans avenir ?
Nul doute : la recomposition à l’œuvre aujourd’hui, convulsivement, embrasse toutes les dimensions de la société française : urbaines, culturelles, économiques, sociales, politiques, idéologiques… Nous vivons un véritable Tournant post-colonial, dont le diagnostic est posé dans cet ouvrage. Un diagnostic, plutôt qu’un panorama : le paysage est en effet à construire –non à reconstruire. Histoire, société, ethnographie, sciences politiques, sciences de la communication, quelle lecture stimulante, ouvrant à la fébrilité de tenir en main, enfin, une étude levée pour faire date, aussi importante que le fut, sur le plan intellectuel, la Nouvelle Histoire d’un Braudel, d’un Bloch. Une pensée dont les enjeux sont autant scientifiques que politiques, tant "nous sommes aujourd’hui parvenus à un tournant des relations interculturelles ou interethniques, qui impose un nouveau regard sur les objets du monde".
Ruptures postcoloniales : Les nouveaux visages de la société française, collectif, Nicolas Bancel, Florence Bernault, Pascal Blanchard, Ahmed Boubeker, Editions La Découverte, Collection : La Découverte Langue, mai 2010, 538 pages, 26 euros, ISBN-13: 978-2707156891.