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16 octobre 2009 5 16 /10 /octobre /2009 09:44
On se rappelle Theodore Kaczynski, mathématicien, philosophe et terroriste, surnommé Unabomber par le FBI et qui défraya la chronique aux States dans les années 90. Seize bombes. Seize bombes qui tuèrent et blessèrent d’innombrables innocents. Seize bombes posées par un Savonarole des sciences et techniques qui voulait contraindre les Etats-Unis à stopper leur développement scientifique. Un intégriste furieux qui avait fini par développer ses thèses et obtenu -sous menace d’un nouvel attentat-, leur publication dans le Washington post, en 1995, sous le titre : L’Avenir de la société industrielle.
Condamné en 1998 sans procès –il avait reconnu sa culpabilité-, il purge une peine à perpétuité et se désole de n’être « reconnu » qu’en tant que terroriste.
Les éditions Climats publient aujourd’hui son manifeste de 1971, inédit : Technologie et liberté (bien que l’original n’ait pas été titré).
Un texte qui n’ajoute rien à la pièce maîtresse de sa pensée -L’Avenir de…-, disponible sur le net depuis fort longtemps. Mais le prétexte à se poser la question de l’opportunité d’une telle publication, autrefois lieu de sphères éditoriales plus marginales.

Cette pensée tout d’abord, qu’était-elle au fond ? Unabomber voulait nous alerter sur les dangers de la technologie. Nous sauvegarder des rationalisations excessives des pratiques humaines. Il prophétisait notre entrée dans une société « inhumaine », s’éloignant de ses fondamentaux en liquidant ses origines biologiques, pour en appeler au retour à l’idée d’une nature séminale, seul site possible –encore que peu lisible- de l’espèce humaine.
Face au gâchis technologique, Unabomber se voulait le dernier représentant de l’espèce, ré-enracinant son identité dans l’âge d’or de l’humanité primitive –réellement pointée dans ses textes comme un modèle… Mais ne parvenant pas à se faire entendre, il posa ses bombes pour affirmer seul contre tous sa raison et tenter de transformer, malgré lui, le monde. Savonarole… Ou bien à la manière d’un nihiliste du XIXème siècle, oubliant la politique pour s’enfermer dans un système de pensée parfaitement clôt et rassurant. Enfin le monde tenait dans sa totalité devant lui… Il n’y avait que la masse pour le contrarier, ou ces agents de l’ordre technologique qu’il désignait comme lieu d’errance d’une humanité aveuglée. Du coup, la petite machine intellectuelle qu’il avait mis au point ne le satisfaisait plus : le désir d’autrui cognait trop, limitait trop ses extases. Il lui fallait briser, choisir la guerre et nous assujettir à son discours. La liberté à marche forcée. Pour tous. Unabomber désignait clairement la démocratie comme l’héritière du pacte du Veau d’or. Lui qui avait trouvé la petite astuce d’une pensée symbolique totalisante, rêvait trop d’un  homme régénéré par la grande fête de la nature pour n’en pas vouloir la venue - vite, immédiatement. Il lui fallait donc à tout prix soustraire la Cité à ce dialogue dans lequel elle s’était embourbée, la soustraire à ces mauvais accords entre de piètres interlocuteurs qui refusaient de l’entendre. La bombe était devenue au terme de sa solitude haineuse l’argument philosophique capable de nouer ses visions au tragique qu’il espérait.

Pourtant, dans son introduction, à le prendre comme le symptôme d’une mutation en cours, Jean-Marie Apostolidès lui trouve bien des qualités. Sans éluder sa haine de la société, ni la montée en puissance des mobiles pathologiques dans sa psychologie, il nous invite à relire le second manifeste d’Unabomber et à le prendre au sérieux. Mais au sérieux de quoi ? Quelle lecture de notre monde (celui, du reste, d’une société déjà entrée dans l’ère post-industrielle) la pensée d’Unabomber autorise-t-elle ? On se prend à rêver en lisant cette introduction. Unabomber aurait donc réellement eu ce fort impact sur les milieux de l’extrême gauche libertaire et/ou situationniste ? Les disciples de Guy Debord, il est vrai, le lisaient avec complaisance. Tout comme l’ouvrage fut accueilli avec intérêt dans les milieux de l’écologie extrême, voire du fameux Comité invisible. Qu’y avait-il donc de si instructif dans ce texte ? Pas grand chose à mon sens, sinon sa critique du gauchisme, dénoncé très tôt comme une posture intellectuelle éloignée de toute implication politique réelle. Quant au reste… Un tissu d’approximations logeant abusivement les problèmes sociaux dans le fait que nous vivrions une vie «artificielle»… Si, peut-être cette remarque frappée au coin du bons sens : « la technologie est une force sociale plus puissante que le désir de liberté ». Ou bien encore, mais sans qu’il soit parvenu à la thématiser, son intuition d’un lien social menacé par le retrait de l’Etat (aujourd’hui en fait), après que l’émergence de ce même Etat ait rompu les solidarités mécaniques qui instruisaient naguère les sociétés traditionnelles, pour reprendre Durkheim. Il faudrait plancher, après Pierre Rosanvallon et son Peuple introuvable, sur l’idée d’une Société introuvable aujourd’hui, où le réseautage tient lieu de formation d’un espace que le concept de société ne peut adéquatement décrire.

Mais en réalité, ce second manifeste, ce n’est pas quant au fond qu’il faudrait le lire, selon Apostolidès. Il serait selon lui une « bombe » -sans jeu de mot-, en ce qu’il témoignerait d’un rapport nouveau aux mots, déjouant ces discours trop préfabriqués des intellectuels de gauche qui ne savent plus donner corps à leurs arguments. Peu importe donc pour Apostolidès les narrations politiques qui fondent le discours d’Unabomber : c’est dans la forme de ce discours qu’il faudrait chercher un possible renouveau de notre dénonciation d’une société qui n’en finit pas de déchanter. Unabomber aurait trouvé le secret du poids des mots. Ses bombes ? Peut-être, semble laisser planer l'introduction, dans l’horizon des mots proférés sous une langue volontiers apocalyptique, additionnant les arguments comme des décimales roboratives. Le fracas de l’acier et des os brisés ? Sans doute : une rédaction placée sous la tutelle de Bataille, jouant la mort, pariant l’homme acéphale. Ecriture de la mort comme seule efficace du verbe… Voilà toute la somme de l’idée… Dépassant la langue des sciences sociales pour arrimer l’essai contestataire à d’autres cercles langagiers. Pas simplement un problème de vocabulaire, mais celui d’un ordre nouveau des mots. Peut-être. Mais celui-là, vraiment, qu’Unabomber pointe ? Incantatoire et approximatif, tordant le cou au concept pour en forcer la patience et proférer une incantation sauvage ratiocinant de tous ses sous-entendus ?

Les éditions Climats publient aujourd’hui Unabomber, autrefois lieu de sphères éditoriales plus marginales. On ne peut qu’y voir le symptôme d’un malaise : celui d’une gauche de la gauche cherchant les nouvelles narrations qui diront notre Histoire et nous éclaireront dans notre désir de transformer encore une société éreintée.
joël jégouzo--.


Le manifeste de 1971, Kaczynski, Theodore John, traduit par et préface de Jean-Marie Apostolidès, éd. Climats, octobre 2009, 212p., 18 euros, EAN : 9782081220409

Lire en contrepoint :
Entretien avec Clémentine Autain, sur les inrocks.com
http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/1255612921/article/entretien-avec-clementine-autain/
« Il faut mettre des idées et des conceptions stratégiques sur la table. Je crois que la gauche crève de ce manque de vision globale, d’une panne de perspectives, d’un manque de souffle. Je plaide pour l’unité de l’autre gauche et l’exigence de novation. Après les échecs du XXe siècle, nous devons repenser les clivages et renouer avec le principe d’espérance. Cela demande de l’expérimentation sociale et politique mais aussi une réflexion intellectuelle. »

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