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La Dimension du sens que nous sommes

QUELLE EUROPE SAUVER ?

1 Mars 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

 

piketty.jpgIl faut repenser, et très vite encore, le projet européen, car l'Europe nous fragilise, affirme Thomas Piketty dans son dernier ouvrage, une série d'articles écrits par l'économiste entre 2004 et 2011, et dans laquelle on sent très nettement monter l'urgence et l'inquiétude devant l'accumulation ahurissante des sommets de la dernière chance qui n'ont toujours rien réglé à ce jour.

Vite, refaire l'Union Européenne, se défaire du calamiteux directoire Merkel-Sarkozy, qui s'obstine à vouloir faire exploser la construction européenne. Se défaire de leur pathétique amer, rappelez-vous, ce 27 octobre 2011, le couple obscur quémandant à la Chine une aide financière au cours d'un énième sommet de l'incompétence et de l'impuissance.

Il faut cesser de se contenter de colmater les brèches de cette passoire fiscale qu'est devenue l'Europe. Il faut donner enfin un vrai poids à ce nain politique qu'est l'Europe aux abois -bien qu'elle soit moins endettée que les Etats-Unis ou le Japon ! Et tordre le cou à la logique inepte, absurde, criminelle de la Banque Centrale Européenne, qui n'a cessé de mettre à la disposition des banques privées des sommes monstreuses que ces dernières se sont empressées de prêter aux pays européens en difficulté à des taux d'usuriers !

Vite, il faut en finir avec la culture de l'arrangement du Conseil des Chefs d'Etat. Car oui, il faut d'abord et peut-être surtout réformer au plus vite les institutions européennes, les plus anti-démocratiques jamais conçues dans le monde occidental. Voilà une urgence à laquelle souscrire des deux mains, tant il crève les yeux qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de l'Union Européenne. Mais sur ce point, je trouve Piketty peu convaincant, à ne proposer que d'empiler une nouvelle couche institutionnelle à celles qui écrasent déjà de tout leur poids la démocratie en Europe. Car notre économiste ne songe qu'à créer un Sénat européen, qui aurait certes la haute main sur les Dettes et sur l'Agence européenne de la Dette, mais dont on comprend mal quel serait le pouvoir réel ni de qui il le tiendrait vraiment. Car enfin... tant que les peuples européens n'auront pas repris le pouvoir qui leur a été confisqué, il ne servira à rien d'empiler les chambres les unes sur les autres. Il faut en réalité réviser de fond en comble le fonctionnement des pouvoirs dans cette Europe construite loin des peuples européens. Une Europe qui, dans sa gouvernance, ne témoigne que de la main mise d’une oligarchie au service du seul objectif qui lui importe : la promotion de la liberté des marchés financiers. Car il faut cesser de croire que l'UE n'est pas un régime politique : elle en est un, et le pire qui soit, offrant l'expression la plus tragique de la structure oligarchique du monde néo-libéral. Voyez la farce des consultations bafouées, comme en France. Leur Europe devrait-on écrire, dans laquelle nous ne nous reconnaissons pas, qui est celle qui est venue à bout de la souveraineté politique des nations européennes par des pratiques économiques qui sont, il n’en faut pas douter, une manière redoutablement contemporaine de faire de la politique autrement, sans l’embarras démocratique qui préside encore –si peu- au destin des nations qui la forment. Et si vous en doutez, observez comment s’équilibrent les forces institutionnelles au sein de cette UE : une Commission Européenne, son exécutif, où siègent des fonctionnaires nommés par les Etats membres, sans aucun mandat démocratique. Un Conseil des Ministres transformé en instance législative délibérant secrètement, un Conseil européen des chefs de gouvernement convoquant les récalcitrants pour leur dicter ses décisions…Ajoutez à cela un pseudo législatif, où le processus de décision est télécommandé par des entrepreneurs ayant avalisé une construction politique autoritaire et volontairement parcellaire : le Parlement européen, seule instance «populaire» élue démocratiquement, qui erre entre Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg (quand on y songe !), et ne dispose d’aucun pouvoir fiscal, d’aucun pouvoir budgétaire, d’aucun contrôle sur les nominations, d’aucun réel droit législatif, sinon celui d’amender à la marge ou d’opposer son veto ! Un corps législatif d’un autre âge donc, qui observe, tétanisé, le pouvoir confisqué par le Conseil des Ministres, coiffé par Le Coreper, comité des représentants permanents fixe, et in fine, le Conseil européen des chefs d’Etat. Soit une violation constante du principe de séparation des pouvoirs constitutionnels, un déficit démocratique sans précédent, auquel même les faucons américains n’ont jamais osé rêver. euro dictature2Ce que Piketty ne sait pas suffisamment observer au fond, c'est que l'UE est l’affaiblissement volontaire du politique. Voyez où se discutent l’essentiel de notre avenir et comment. Voyez qui prend les décisions et comment, et ce que ces décisions concernent : des questions qui étaient autrefois débattues au sein des parlements nationaux, négociées désormais dans le secret. Le traitement de ces questions, observe avec pertinence l'historien Perry Anderson, est celui que l’on réserve d’ordinaire aux Affaires Etrangères ou Militaires ! Des questions confisquées par de prétendus experts, mais dont nous nous rendons bien tous compte, comme les taux d’intérêts, qu'elles organisent le déplacement de la politique macro-économique vers Bruxelles. Avec à la clef, encore une fois, nos vies et notre avenir : emplois, impôts, protection sociale…

L’Union Européenne, aujourd’hui, c’est enfin l’état minimal tel qu’aucun ultra-libéral n'a jamais osé l’espérer : une fonction publique réduite à néant –20 000 fonctionnaire !- des dépenses étranglés, un contrôle impossible, bref : la démocratie vidée enfin de sa substance ! Allez : on a bien vu quel genre d'ordre tentait de s'imposer dans cette UE. On l'a vu avec le contournement du référendum français, la confiscation du référendum en Grèce, l’arrivée au pouvoir des banquiers en Italie. On le voit à l’étude attentive des liens qui se tissent ici et là à la faveur de cette pseudo crise : Mario Draghi, le nouveau président de la Banque centrale européenne, proche de Mario Monti, le président désigné du Conseil Italien, proche de Lucas Papadémos, le nouveau Premier ministre grec, tous les trois appointant à la banque d’affaires américaine Goldman Sachs, qui ne cesse d’étendre en Europe son réseau d'influence.

Partout en Europe, ce que l’on peut observer, c’est la montée en puissance d’un ordre fondamentalement ennemi de toute démocratie, préparé de longue date par l’arrivée au pouvoir, dans les années 80, d’un Reagan ou d’une Thatcher qui n'avaient d'autre horizon que de faire de l’Europe la plus fabuleuse pompe à fric que le monde occidental ait jamais inventée. Alors sans doute, oui, est-il temps non seulement de repenser le fonctionnement des institutions européennes, ainsi que nous y invite Piketty, mais de reprendre le pouvoir dans cette Union au fond très peu européenne. Et sans doute est-il temps de la penser collectivement : non comme savoir mais comme lucidité qui contraint à prendre soin des hommes autant que du monde. Car tout comme la philosophie, la politique est un exercice de lucidité, au terme duquel il ne s’agit pas de voir ce qui est mais ce qui institue le bon fonctionnement de la cité, dont l’être humain est la finalité, non les moyens. Et sans doute est-il vraiment temps de réaliser que l’Union Européenne n’incarne plus un système de valeurs universelles, mais un système politique qui repose essentiellement sur la faiblesse tactique de ses peuples, vidés de leur substance politique : l’Europe des populations à genoux devant les banques.

 

Thomas Piketty, Peut-on sauver l'Europe ?, éd. LLL, janvier 2012, 272 pages, 20 euros, ean 978-2918597469.

Goûtons tout de même au passage, la flèche décochée par Piketty à Sarkozy : c'est moins l'Allemagne qui bloque tout, que Sarkozy, recroquevillé sur sa logique intergouvernementale, refusant de céder toute once de pouvoir et redoutant comme la peste l'intrusion de la démocratie dans son petit cercle de décideurs...

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