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La Dimension du sens que nous sommes

Du sens et de la place de la culture aujourd'hui...

30 Avril 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

KULTUR.jpgRelativité des normes, des goûts, l’éclectisme, conclut dans son essai Philippe Coulangeon, est le nouvel opérateur de la domination symbolique. Un opérateur qui pourrait perturber bientôt notre vision du sens et de la place de la culture dans notre société, tout comme celle des combats qu’il nous faudrait mener pour une société plus juste. Car il s’agit là d’un opérateur qui donne à penser que toutes les cultures sont légitimes alors qu’il ne fait que les recycler à l’intérieur d’une hiérarchie sédimentée de longue date. Un opérateur donc, dont la visibilité sociale a pour paradoxe de rendre parfaitement invisibles les inégalités économiques et sociales que le champ de la Culture ne sait que trop bien dissimuler. Et de ce point de vue, toute approche du fait culturel et de sa fonction dans la société ne peut faire l’économie d’une évaluation sociologique : le niveau des inégalités culturelles par exemple, est aujourd’hui celui que l’on connaissait dans le début des années 70… Soit une régression sans précédent ! Les équipements culturels, pour le dire à la hâte et non sans provocation (et en toute connaissance de cause des relents réactionnaires qu’une telle provocation est susceptible de véhiculer), ne servent de fait, tels qu’ils sont conçus et fonctionnent, qu’à renforcer les structures de domination de la société française, arrimant les discours sur la culture à leurs attributs les plus falsificateurs, au niveau desquels l’apprêté le dispute à l’hypocrite. Etudiant la structure des inégalités sociales en France, Philippe Coulangeon montre assez que désormais, c’est l’impact des conditions et des lieux de logement qui est prépondérant, et non celui des ressources culturelles des parents, qui ne compensent plus guère ces inégalités. En gros, si vous êtes un parfait crétin mais que vous habitez le 5ème arrondissement de Paris, vos enfants s’en sortiront mieux socialement que si vous êtes cultivé mais habitez Vitry-sur-Seine… Il y a de quoi réfléchir alors, sur les engagements de la petite bourgeoisie intellectuelle par exemple, si souvent obsédée par son identité résidentielle… La seule question n’est ainsi pas d’évaluer la production artistique de cette petite bourgeoisie résidentielle du point de vue de l’histoire de l’art, mais cette histoire de l’art qu’elle construit et dont il serait bon de se poser la question de savoir où elle s’écrit, dans quelle dimension fictive de notre vie sociale et politique.

opera-news.jpgEtudiant le rôle effectif de la culture dans la structuration des rapports sociaux, les conclusions de notre auteur sont de fait terrifiantes : le capital culturel ne classe plus grand monde… Constat d’importance, quand on sait l’investissement reconduit de génération en génération dans le combat pour l’éducation et sur le front de la culture, conçus l’un et l’autre comme vecteurs d’une meilleure intégration sociale. Une rhétorique par trop systématique au fond, masquant désormais avec difficulté ses impasses sous des tonnes de bonne conscience artistique…

Trente ans après la Distinction, les codes culturels sont devenus autres. Tout comme la stratification sociale des goûts. Et il y a là de quoi s’interroger. Brutalement. La lecture par exemple, est devenue quasiment inopérante. Le livre n’est plus discriminant, même si la pratique de la lecture est plus que jamais celle des classes aisées. Par parenthèse, la fin annoncée de la librairie française n’est de ce point de vue rien d‘autre que l’immense farce de la confiscation définitive d’un Bien culturel par les classes dominantes. D’autres suivront, n’en doutons pas. Sous couvert du reste, autre paradoxe, de la désaffection des installations culturelles par les masses, poussées à déserter les Biens culturels –cqfd- pour des tonnes de mauvaises raisons, y compris par les opérateurs eux-mêmes d’une conception pédagogique de la Culture à l’usage des dites masses populaires…

Par ailleurs, autre segment implacable de l’essai mentionné, si l’on veut bien décrypter le poids des pratiques culturelles dans la discrimination sociale, force est de reconnaître que ce qui importe désormais, c’est la visibilité de ces pratiques et non leur contenu. Si bien que ces pratiques peuvent parfaitement s’avérer superficielles, le conformisme culturel fera le reste, suppléant à toute superficialité, pourvu que l’on sache se montrer là où il faut se montrer, et du point de vue des artistes, que l’on sache exhiber ce qu’il faut montrer… La visibilité maximale étant celle de l’Opéra, Bastille en particulier, confisqué par une élite financière, cela va de soi : la sociabilité grande bourgeoise n’est pas partageuse.

power.jpgLe brouillage des frontières qui s’est opéré entre les cultures de masses et les cultures des élites, anoblissant le divertissement et gommant les différences entre les registres savants et les registres populaires, largement favorisé par l’effritement du monopole culturel de l’école, qui a ainsi contribué puissamment à favoriser l’émergence de cet éclectisme des goûts et des pratiques, n’aura été à tout prendre (provisoirement, on l’espère), qu’une cautère sur une jambe de bois… Rien dont on puisse se réjouir en somme : la distinction se fait plus que jamais en France non par le capital symbolique mais par les ressources financières et patrimoniales. De quoi méditer sur la priorité de nos engagements. Certes, que cette culture de l’éclectisme puisse théoriquement nous aider à renouer avec des visées émancipatrices, voilà qui distraira. Mais au fond, l’étude commande de relativiser le poids de la culture et de l’éducation dans ce tournant de l’Histoire française. La faible visibilité politique (et non sociale ou idéologique) de la culture n’en diminue certes pas l’enjeu, mais la relativise beaucoup : pour que la culture ne devienne pas une danseuse neurasthénique des Pouvoirs en place, pour que la diversité des ressources culturelles mobilisables devienne une vraie force de transformation du social, il faut sans doute faire face, d’abord, à la tragédie qui est la nôtre : celle de la disparition d’une société où nous ne faisions déjà que survivre. Survivre : c’est dire l’embarras dans lequel nous nous trouvons, qui ne fait que traduire notre impossibilité à formuler de véritables tâches politiques autres que celle du "mon ennemi c'est la Finance". Car il existe une sorte de véritable tragédie structurelle propre au réformisme politique néolibéral, que l’on voit partout à l’œuvre en Europe, quelle que soit la couleur du gouvernement en place. Enfin, la démocratisation feinte des savoirs et des cultures qui se pratique aujourd’hui sous couvert d’éclectisme, ne peut occulter les dimensions économiques et politiques des vrais enjeux qui s’offrent désormais à nous. La barbarie est l’ordre des lieux du Pouvoir, y compris de sa conception et de sa pratique de la culture, et tels qu’ils se sont construits institutionnellement et pratiqués constitutionnellement en France depuis l’avènement de la Vème République… On ne change pas cette situation en échangeant des rôles, fussent-ils présidentiels.

 

 Philippe Coulangeon, Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d'aujourd'hui, Paris, Grasset, coll. " Mondes vécus ", 2011, 168 pages, 15 euros, ean : 978-2246769712.

Image : Power, de Sanchstar et Slavoj Žižek on life, happiness and Hegel , Lacanian cultural theorist interviewed by The Guardian.

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