Quel genre d’ordre est en train de prendre forme en Europe ?
On le voit avec le contournement du référendum français, la confiscation du référendum en Grèce, l’arrivée au pouvoir des banquiers en Italie. On le voit à l’étude attentive des liens tissés ici et là à la faveur de la crise : Mario Draghi, nommé un beau jour président de la Banque centrale européenne, proche de Mario Monti, un autre jour président désigné du Conseil Italien, proche de Lucas Papadémos, déboulant au poste de Premier ministre grec, tous les trois appointant à la banque d’affaires américaine Goldman Sachs, qui ne cesse d’étendre en Europe son réseau d'influence.
Partout en Europe, ce que l’on peut observer, c’est la montée en puissance d’un ordre fondamentalement ennemi à toute démocratie, préparé de longue date par l’arrivée au pouvoir, dans les années 80, d’un Reagan ou d’une Thatcher, l’un pour faire de l’Europe l’auxiliaire de l’Empire américain, l’autre pour en faire la plus fabuleuse pompe à fric que le monde occidental ait créée.
Depuis, l’Europe est devenue cette communauté de fausses valeurs qui se berce d’illusions et nous endort dans l’autosatisfaction béate de ses élites, qui ont fini par atteindre un degré de vanité inégalé. Car au mieux, et aux yeux des américains toujours, qui s’y connaissent en supercherie, l’Europe ne représente qu’un tour de force administratif au terme duquel, à la faillite de son système économique, programmée par ses propres dirigeants pour mieux lui soustraire des dividendes hors norme, se sera ajoutée une faillite morale.
Il est temps de réécrire notre histoire européenne, pour avouer que le seul objectif de cette Europe là était d’accroître le rendement dans les Affaires et d’approfondir le capitalisme dans ce qu’il avait de plus vil. De sorte que l’Union Européenne n’incarne plus un système de valeurs, mais un système politique qui repose essentiellement sur la faiblesse tactique de ses peuples, vidés de leur substance politique : l’Europe des populations à genoux devant les banques. C’est l’Europe des experts au pouvoir qui suspendent allègrement la démocratie au prétexte d’une réflexion pseudo rationnelle, en oubliant une chose : c’est que la politique n’est pas une science, mais une sagesse.
Une sagesse, oui, celle-là même qui reconnaît que nous sommes limités dans nos décisions et que la prudence doit toujours prévaloir. Une sagesse au sens où nous devons, collectivement, décider de l’avenir de la cité, sans autorité extérieure nous surplombant pour imposer ses contraintes. Une sagesse en ce sens que la morale de la citoyenneté consiste à penser collectivement le cadre dans lequel nous voulons voir nos vies s’épanouir.
Penser collectivement : non comme savoir mais comme lucidité qui contraint à prendre soin des hommes autant que du monde. Car tout comme la philosophie, la politique est un exercice de lucidité, au terme duquel il ne s’agit pas de voir ce qui est mais ce qui institue le bon fonctionnement de la cité, dont l’être humain est la finalité, non les moyens. De ce point de vue, force est d’admettre que nous connaissons, en France, la forme la moins enviable du libéralisme. Un libéralisme qui ne cesse de nous faire le coup du discours moral toujours réactualisé sur la nécessité d’introduire un peu de morale dans la gestion du pouvoir, quand déjà le XVIème siècle posait cette même question de fixer des limites morales au pouvoir des gouvernements ! Quand depuis des siècles les libéraux ne prétendent cesser d’y songer, au nom du Bien Commun !
Des siècles plus tard, nous en sommes toujours là, à savoir que le Bien Commun, à leurs yeux, ne peut venir d’une coercition. Quand nous savons tous que lorsque l’on essaie de faire respecter un principe politique en s’appuyant sur la menace, on ne fait que traiter les individus comme de simples moyens, de simples objets de coercition. C’est le cas en Grèce, tout comme en France avec cette classe politico-médiatique qui ne cesse de diviser pour produire la moins grande quantité possible de valeurs communes !
Quel type d’engagement moral faut-il donc rechercher comme fondement à l’idéal républicain ? Et sur quoi fonder nos principes moraux sinon sur des motifs prudentiels ?
L’état ne peut quant à lui fonder sa légitimité que sur le principe de neutralité garanti par le dialogue rationnel et le respect égal des personnes. La norme du dialogue rationnel pour établir la distinction entre la preuve et la justification destinée à ceux qui ne partagent pas notre avis et dégager ce qu’il reste de commun à tous, le respect EGAL des personnes –et l’inscription de cette simple égalité donne à imaginer le vertige d’un Etat qui ne cesse de traiter inégalement ses citoyens : il n'y a qu'à voir la situation faite en France aux rroms et aux enfants issus de l'immigration !
Un égal respect des personnes qui, au fond, nous contraint à poursuivre toujours plus avant le débat public, inclinant l’Etat à fonder cet idéal procédural sans lequel il n’est qu’un aveu possible : c’est que nous ne vivons plus, en France, dans un Etat libéral. Pas même libéral devrais-je écrire. Et quant à l’Europe, elle n’est en effet plus que la caricature de ce que devrait être une union démocratique des peuples européens.
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