QUEL EST L’OBJET REEL DE L’INTERET MORAL, DANS UN ETAT LIBERAL ?
Deux normes fondamentales devraient toujours guider l’action des hommes politiques en charge du destin de la Nation : celle du respect égal des personnes, et celle d’un dialogue rationnel entre les hommes.
L’Etat libéral ne peut, assure-t-on du côté de ses penseurs les plus subtils, fonder sa légitimité que du principe de neutralité encadré par ces deux normes salutaires, le débat public et l’égal respect des personnes, contraignant du reste à toujours relancer le débat public.
Deux normes qui avaient le pouvoir d’empêcher que l’on traitât autrui comme un moyen.
Mais voilà que dans cette République qui n’ose plus dire son nom, l’on traite les hommes comme des moyens. Car forcer les individus à se conformer à des principes avant même que l’Assemblée Nationale n’ait légiféré, c’est les traiter comme des moyens.
Voici en outre un gouvernement qui ne communique presque exclusivement que sur des thèmes de coercition ou de menace (dernièrement, les mères isolées qui ne sauraient pas tenir leurs enfants). Or, quand on tente de faire respecter un principe politique par la menace, a fortiori par la force, on traite les individus comme de simples objets de coercition.
L’Etat que nous connaissons est ainsi devenu une vaste entreprise de déshumanisation de la société française, qui ne poursuit qu’un seul but : celui de l’obéissance de tous à ses lubies aveugles.
Comment ne pas réaliser qu’il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de France ?
La norme d’égal respect des personnes aurait dû s’afficher dans sa parfaite neutralité : elle ne peut orienter les conduites individuelles.
Que l’idéal de Vie Bonne d'un Ministre s’oppose à la norme d’égal respect, voilà le vrai danger.
Que son idéal veuille s’imposer comme norme morale collective, voilà le vrai danger.
Et que cet idéal prenne le pas sur la norme d’égal respect, voilà le seul vrai danger que court une République qui ne peut plus dire son nom !
Comment, en outre, ne pas comprendre que l’idéal libéral, tel que pensé du moins par Charles Larmore, oblige, par voie de conséquence, à renoncer au "culte de l’unité, pour accepter une certaine différenciation entre notre rôle de citoyen et les autres rôles qui nous engagent, avec d’autres, dans la poursuite des idéaux substantiels de la vie bonne" ?
Mais la clique au pouvoir est aveugle. Et sourde. Se respecter l’un l’autre en tant que personnes dans le processus d’association politique n’entre pas dans sa compréhension politique.
Comment, dans ces conditions, nous entendre avec ceux qui, au gouvernement même, rejettent cette norme de l’égal respect ou qui placent leur idéal de vie au dessus de cette norme ?
Quelle est l’essence profonde de la logique de menace et de force que l’Etat français met aujourd’hui en place ?
Une clique. Qui semble ne plus chercher que les occasions de défaire le Vivre ensemble dont elle a hérité.
Voilà des gens qui voudraient vivre "entre eux" et non avec tout autre au sein de cette Nation qui, naguère, était celle des Droits de l’Homme et du citoyen.
Voilà des gens qui voudraient réactualiser la frontière entre un pseudo pays légal et le pays réel, et conduire une politique de division fière de ses citoyens de seconde zone, comme au bon vieux temps des colonies.
Voici des gens animés par une doctrine morale nébuleuse, qui prétendent juger de la nature de la validité morale globale.
Voici un Etat de moins en moins crédible, car il n’est plus une solution aux difficultés que traverse la société française, mais un élément de son problème.
Voici un Etat qui pense que l’on ne peut plus vivre ensemble que sous la pesée de la menace ou la contrainte de la force et qui, du coup, engage l’aventure française dans l’abîme des affrontements sectaires.
L’un soutient déjà un absolutisme discret, l’autre dit J’ai décidé et rappelle, par son décisionnisme fanfaron, le prêche d’un Carl Schmitt, ce théoricien néo fasciste des politiques autoritaires, revenu à la mode il y a quelques années.
Pour se parer de toute dérive tyrannique, il faut subordonner l’idéal démocratique à des normes. Car la souveraineté de Droit n’appartient à personne (Guizot). Ni au Peuple, ni à l’élu du Peuple : elle repose dans le caractère duel de la démocratie, quand celle-ci sait organiser le débat public (et non sa farce), et libérer l’Opinion.
Au lieu de quoi nous avons un système politique qui ne respecte plus ses propres principes. Un système qui ne sait plus que l’objet réel de l’intérêt moral, c’est au fond l’Autre en tant qu’il n’est pas un corps étranger qu’il faut à tout prix déglutir dans notre système clos, mais un autre sujet relevant de ses propres perspectives, qu’il faut entendre et respecter comme tel.—joël jégouzo--.