QU’EST-CE QU’UN MONDE JUSTE ?
Comment concevoir un monde juste ? Surtout à l’heure où les idéologies de la justice semblent avoir fait faillite…
Sans même évoquer ici les doctrines marxistes, voire anarchistes, il existe dans la tradition libérale, dont John Rawls fut le père fondateur, idéologie massivement dominante aujourd’hui jusque dans les rangs des socialistes de pouvoir, une idée selon laquelle la justice entre les citoyens d’une même nation doit être pensée sous la forme du "Maximin soutenable des possibilités".
Qu’entendre par là ? Prenez la liberté de mouvement des capitaux, à laquelle notre classe politique, Droite, Gauche confondues, reste tellement sensible. Le capital est libre de circuler partout ou presque dans le monde. On encourage même ses migrations, dont on nous dit qu’elles nous seront un jour profitables, selon cette bonne vieille théorie du ruissellement d'après laquelle le trop plein des riches finirait par se déverser dans nos bourses... Ou pour le dire autrement, on nous dit que pour réaliser la justice mondiale à long terme, que l'on fait curieusement dériver de l'enrichissement de tous, il faut d'abord accepter cette libre circulation du capital. Au nom de l’efficience économique globale, on nous demande d’accepter les sacrifices "ponctuels" provoqués par ce déplacement du capital, et de l’emploi vers les pays du Sud… Au nom de la justice sociale mondiale, on demande aux travailleurs "riches" de consentir au sacrifice momentané de leur emploi -quelques décennies, une paille dirait-on à les en croire. Cette rigueur apparaît comme la politique la plus juste pour l’humanité, la seule qui lui permette de trouver un souffle nouveau.
Au nom d’un principe prétendument "juste" sur le long terme (et du seul point de vue néo-libéral), celui de l’élévation du niveau de vie de tous (acceptons-en le mensonge provisoirement), on introduit entre les nations un état de concurrence tel qu’il précipite dans la misère des milliards d’individus. De fait, les mouvements des capitaux financiers se traduisent par l’appauvrissement des travailleurs du Nord, non par l’enrichissement des travailleurs du Sud.
Il faudrait pouvoir corriger cela à la marge, affirment les néo-libéraux socialistes. Ajuster. Simplement ajuster… Encadrer les mouvements financiers par une législation qu'on attend toujours, hypocritement puisque tout le monde sait que leur logique intrinsèque est la quête de profits immédiats, qui les empêcherait de porter atteinte à l’environnement économique et social des nations. Mais ce que l’on vérifie, c’est que la seule vertu de la recherche du profit n’entraîne qu’une augmentation des inégalités. Non cette réduction truquée que l'INSEE voudrait nous faire avaler dans son dernier rapport 2013, ayant soigneusement ôté de ses calculs les revenus du patrimoine qui constituent en France l'essentiel de la bascule des inégalités, contrairement aux Etats-Unis où les inégalités des salaires est constitutive de cette bascule...
Le Maximin que j’évoquais plus haut ne devrait donc pas être calculé comme Maximin soutenable des états ou des firmes —ce qui est le cas aujourd’hui—, mais comme Maximin soutenable des personnes. Car la mobilité anarchique du capital érode la capacité de chaque nation à assurer une répartition équitable à tous ses citoyens. Dans la guerre financière qui est livrée par les banques aux Etats, dont les conséquences sont par exemple la prétendue "nécessité" de baisser le niveau des prestations sociales au nom du principe selon lequel ce qui est prélevé sur le territoire national n’a vocation qu’à servir de force de frappe économique "nationale", on le voit, ce qui est privilégié n’est ni plus ni moins que le consentement à l’extermination des pauvres. L’expression paraîtra excessive, sinon scandaleuse, mais si l’on y réfléchit bien, il ne s’agit de rien d’autre : la privation d’activité économique, qui s’accompagne statistiquement par la mise en danger physiologique des populations concernées, n’est que l’expression d’une politique consciente d’exclusion radicale des populations les plus fragiles, une exclusion qui se traduit par une mort réelle, souvent prématurée, et non le simple effacement de ces populations de la statistique nationale, qui sait mieux qu’aucun autre outil politique les rendre invisibles...