Pour une planète équitable, Marie Duru-Bellet
Il y a urgence. Tout le monde s’accorde sur ce point. Mais urgence pour une justice globale en fait. Et c’est bien là le problème : jusque-là les discours se centraient sur l’urgence écologique. Le réchauffement climatique. L’approche, systématiquement, évitait soigneusement d’élucider les liens que les inégalités sociales pouvaient entretenir avec cette urgence purement –on le prétendait- écologique. C’était à peine si l’on consentait à affirmer que l’empreinte écologique des pays riches était abusivement élevée. La Chine ouvrait le bal de la déculpabilisation, les nations pauvres polluaient décidément bien davantage et l’avenir qu’elles nous dessinaient paraissait bien sombre. Mais nul n’avait songé à étudier le lien qui existait entre les inégalités sociales et l’écologie, nul n’avait étudié vraiment l’impact non pas des pays riches, mais des riches sur les conditions de vie des pauvres et par ricochet sur leur empreinte écologique. Etude délicate à mener, tant les données qu’il faut prendre en compte sont nombreuses et peu aisées à spécifier. Que prendre en compte ? Que comparer ? Qui comparer ? On pouvait certes et depuis belle lurette, comparer les ressources disponibles : santé, éducation, voire dans le détail, la consommation d’eau par exemple. Mais cela revenait toujours à mettre dans le même sac des pays riches toutes les populations concernées. Voilà donc une synthèse intéressante qui nous est offerte, détaillant les conditions de mesures de ce lien entre les inégalités sociales et l’urgence écologique. Comme toutes les études actuelles qui portent sur les inégalités, les conclusions ne surprendront pas : force est tout d’abord de constater qu’elles sont aujourd’hui, et au niveau mondial, plus importantes qu’elles ne l’ont jamais été. Les écarts entre les pays s’accroissent et au sein de ces pays, entre les riches et les pauvres. Ces écarts donnent même le vertige sur l’état réel de l’humanité à la surface de la planète. Avec en supplément cette constatation de taille que la cause du décrochement des pays pauvres est provoquée par… la mondialisation. La dégradation des termes de l’échange est de ce point de vue terrible : ce qu’on observe, c’est la baisse continue des prix des produits exportés par les pays du Sud, baisse qui ne profite en rien aux pauvres des pays du Nord : les denrées agricoles, par le biais de spéculations criminelles, ne cessant de voir leur prix augmenter… Les pauvres des pays les plus pauvres paient la facture. Tout comme à l’intérieur des pays les plus riches, les classes moyennes et pauvres paient la facture. La FAO souligne du reste depuis de nombreuses années maintenant que les pays africains en particulier ont été appauvris par cette mondialisation. Et lorsqu’on regarde de près comment les choses se passent, on est bien obligé d’avouer que le marché n’a de libre que le discours. La libre concurrence n’est qu’une rhétorique commode pour nous faire passer la pilule de notre paupérisation forcenée. Les règles de fonctionnement du marché dit libre sont en réalité fabriquées par les états occidentaux pour satisfaire l’appétit de quelques multinationales goinfrées de bénéfices. De l’aveu même de la Banque Mondiale, les marchés financiers entraînent désormais une volatilité des capitaux qui saigne littéralement les économies des pays pauvres. Aux yeux de la même institution, la politique du FMI (merci à leurs dirigeants français qui ont su maintenir un cap pareillement criminel), empêche l’essor de l’emploi dans ces mêmes pays. Seule crainte des puissants : le péril inégalitaire qui se profile à un horizon plus proche encore que le péril écologique… La mondialisation n’a fait qu’attiser l’exaspération des pauvres. Une étude menée récemment par la Banque Mondiale s’en inquiète : ces pauvres en question sont désormais conscients de la réalité de ces inégalités. Et la première réponse que cette étude révèle est celle du désir d’émigrer. 50% des habitants des pays du Sud le souhaiteraient, conscients qu’ils sont que naître chez eux est voir le jour dans une prison… On comprend mieux alors pourquoi les discours sur l’immigrations se sont tendus dans la bouche de nos politiques. Pour le reste, la Banque Mondiale s’inquiète aussi de voir ces inégalités provoquer des révoltes et le développement d’économies parallèles, fortement mafieuses. Plus réjouissant : une étude de 2003 affirme explicitement que ces inégalités sont un frein à l’efficacité globale du capitalisme (rapport Banque Mondiale 2003). Et qu’en outre, la croissance n’y changerait rien : elle ne profite qu’aux riches… D’autres institutions mettent elles en avant le lien qui existe entre ces inégalités et l’empreinte écologique, nous obligeant à nous poser enfin la question des droits face aux ressources globales de la planète, en particulier face aux cataclysmes qui se profilent inévitablement : quel niveau de protection pour les peuples démunis qui devront demain affronter de nouveaux tsunamis ? A leurs yeux, le seul moyen d’avancer sereinement passe par la… décroissance des riches. Nous disposons aujourd’hui de la possibilité matérielle d’éradiquer la misère et la pauvreté concluent nombre d’experts. Seule fait défaut la volonté politique de le faire.
Pour une planète équitable : L'urgence d'une justice globale, Marie Duru-Bellet, Seuil, 2 janvier 2014, Collection : La république des idées, 100 pages, 11,80 euros, ISBN-13: 978-2021158854.
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