PONGE, LE pARTI PRIS DES MOTS -muer la raison en réson…
"Parler les choses", dit Ponge, et non parler des choses.
Le soleil à l’aube où puiser son courage, celui qu’il faut par exemple, pour se décider à parler.
Le parti pris des mots, compte tenu de la clôture du langage, dans l’illusion de dire les choses, ajoutant à leur monde muet le raccommodage du nôtre, ravaudé au fondement du mot, cette chose aussi incongrue qu’incertaine,
N’exprime
ni quelque vérité ni quelque souffrance, travaillant simplement la langue son matériau, comme dans cette sorte de peu mallarméen -que Mallarmé finit par disperser au-dessus de nos têtes (ce n’était donc que cela, la création littéraire, un pur jeu formel ?).
A quoi relier le langage ?
Ou bien chercher, à l’intérieur du même, dans ses recouvrements bêlants, une épaisseur,
creuser jusqu’à la matière sensible, analogue à cet inaccessible des choses ?
N’y aurai-il que du tragique à prendre le parti des mots ?
Ou de la jouissance -ce qui revient au même.
Retournez les mots encore, défigurez le beau langage conseillait Ponge.
D’un coup de style plutôt que de dé. Refusez la fermeté péremptoire des cénotaphes.
Le parti pris des choses. Qu’un galet remonte le Déluge -(Paulhan s’en agaçait, prétendait que Ponge confondait (il le dira), poésie et méditation).
Méditer alors.
L’appel des choses dans leur secret mot d’ordre, loin du ravissement citadin, comme si les mots pouvaient avoir partie liée avec la nature. Le brin d‘herbe, le coquelicot, que risquer à le dire ? S’arracher à la rumination langagière ambiante ?
Au Chambon-sur-Lignon, Ponge situait le lieu où les choses étaient, croyant toucher à l’illumination rimbaldienne en caressant le rhum des fougères, les fougères, enracinées dans son regard.
Ni ceci ni cela pourtant, la conscience épousant quelqu’ultime raison, mieux, les occultant toutes dans le sensible de l’émotion. (Moins panthéiste qu’on a voulu le croire cependant, l’ami Ponge, plus chrétien qu’il ne l’a avoué dans ce renversement des arrogances, quand il plonge, remonte la chaîne, refait tout le chemin de l’évolution vers la cellule, en réserve de l’humain).
Les façons du regard alors. Ponge dit l’œil, supplication "aux muettes instances que les choses font qu’on les parle pour elles-mêmes, en dehors de leur signification".
Ne resterait qu’à se lancer, décrire la sympathie universelle, comme il l’écrit en 1953, cette "motion que procure le mutisme des choses qui nous entourent". Franciscain, Ponge. S'épinglant au premier brin d’herbe venu, pour découvrir qu’il n’y a rien à entendre : la feuille ne dit que l’arbre.
Parler les choses... Et jouir de l’énoncé.
Parler les choses, non pas décrire leurs qualités –cela, c’est l’affaire des botanistes. Mais contempler leur reflet en nous. Peut-être même pas : prier, se reposer en elles, accomplir cette sorte de retour vers la douceur immanente des choses, que Ponge appelle raisons de vivre.
En 1947, Ponge donne une conférence : "tentative orale", au cours de laquelle il fomente une forêt dont les "troncs gémissent, (… les) branches brament". Elle rend un son, cette forêt. Alors Ponge de se rappeler Malherbe, qui savait muer la raison en réson. La résonance. Dans quel vide de pensée la faire tenir ? L’arbre en alexandrin de Ponge nous en dit-il quelque chose ? Que la forêt ne soit plus une métaphore ! Le sens se donne et se retire, dans sa copieuse foliation.
Son De natura rerum, au fond, bruissait peut-être encore de trop de l’infime manège du verbe des salons. L’évasion en fin de compte, plutôt que la contemplation. Ponge y réussit pourtant : le poème comme phénomène, exclu de la Cité. --joël jégouzo--.