LES CAMPS DES FRANÇAIS D’INDOCHINE EN FRANCE (1956-2009)
Français de nationalité, ils n’avaient pas la chance d’appartenir au «corps français traditionnel», selon les bons mots de Gérard Longuet, patron des sénateurs UMP.
C’est pourquoi on les a parqués, enfermés, humiliés en les reléguant, les bannissant, les exilant sinon les «expatriant» sur place, dès 1956 à leur arrivée en France, dans des baraquements qui n’avaient rien à envier à ceux des guerres les plus sales du siècle, comme celui de Sainte-Livrade-sur-Lot : le CAFI (Centre d’Accueil des Français d’Indochine).
1200 français d’Indochine au Cafi, 700 enfants, 10 douches collectives.
Pas de sanitaires dans les baraquements, des toits en carton, aucune intimité possible, jamais. Pensez : une ancienne poudrerie militaire, des entrepôts divisés à la hâte où entasser, comme des bêtes, ces français dérangeants -des familles…
Il faut les imaginer en 1956, ils en témoignent dans ce livre, mais du bout des lèvres aujourd’hui encore. La peur d’importuner, de n’avoir pas le droit de révéler, de n’être pas, de ne toujours pas faire partie de ce fameux «corps français traditionnel» aux arrogances insupportables.
Leur voyage tout d’abord, 25 jours sur des paquebots de fortune, loués parfois aux italiens, des tas de ferraille où vomir tout son saoul en attendant la terre ferme. Pour l’occasion la boue dès leur arrivée, et les norias des bus déversant leur cargaison humaine sans ménagement. Une seule valise autorisée par famille. Le temps gris, un ciel sinistre et la fange entre les baraquements. Il faut les imaginer muets de stupeur : c’était ça, cette gadoue ignoble, ce que la France leur offrait. Des baraquements. Sinistre vocabulaire d’un siècle dégradant.
A Sainte-livrade… Et ailleurs. D’autres camps agençant un accueil identique. Celui de Brias, du Cannet-des-Maures, de Noyant-sur-l’Allier, et quelques autres, détruits depuis, biffés, gommés pour que rien jamais ne fasse retour sur cette page honteuse de notre Histoire commune : celle d’un monde bafoué. Celui de milliers de français aux yeux desquels tout ce qui était admirable s’appelait la France. Une France qui s’incarnait en villas blanches. Ah le blanc ! Cette couleur si lumineuse de la colonisation française…
Mais pour ces nha-quê, ce fut 52 années de grisailles et d’humiliation. Car, entendez bien : en 2009, sans doute parce que les médias, enfin, ont commencé de faire leur travail, s’interrogeant sur l’existence de ces camps, les premiers bulldozers ont fait leur apparition. Promis, on va vous le refaire le camp, vous loger décemment. Mieux vaut tard que jamais…
Détruire en fait, toute trace de la vilenie de l’administration française pour laquelle les rapatriés d’Indochine n’étaient que des sous-hommes. Qui se tairaient, pariait-elle. Animés qu’elle les imaginait, par cette fameuse valeur que l’on prêtait et que l’on prête toujours aux natifs du Viêt-Nam : dâm-dàng, cette capacité à tenir, à faire face, à ne jamais faillir, ce courage, cette endurance dans l’abnégation, une sorte de résignation bienvenue. On les savait durs à la tâche, ils se tairaient. De toute façon, on ne leur laisserait pas le choix. Et longtemps ils se sont tus en effet. Isolés, accablés, ignorés. Un silence les recouvrait, qui permit aux patrons du coin d’user et d’abuser, avec la complicité de l’administration du camp, d’une main-d’œuvre bon marché. A l’aube les camions arrivaient. Pas des bus : des camions. Qui venaient chercher leur marchandise : des femmes, des enfants que l’on enfermait dix, douze, quatorze heures avant de les relâcher le soir, terrassés de crainte et de fatigue.
Le livre est saisissant. Le Cafi était un ghetto. Il l’est resté près de cinquante ans. Des français d’origine indochinoise y vivent encore. Y finissent leurs jours. Un ghetto dont des administrateurs vétilleux veillaient à orchestrer la précarité. Il exista même un arrêté républicain pour gérer cette précarité : l’arrêté Morlot (1959). Lequel stipulait que l’acquisition d’un poste de radio devait être interprété comme un signe extérieur de richesse passible d’expulsion. Il fallait donc soit s’enrichir d’un coup pour espérer quitter le camp, soit durer dans la survie.
Il y avait même une école au Cafi : l’administration gérait consciencieusement les parcours des enfants dont elle avait la charge, offrant des bourses qui, suite aux tracasseries qu’elle s’ingéniait à monter, n’était jamais accordées qu’avec un retard de trois ans en moyenne, mettant ainsi souvent fin à tout espoir d’études.
Il faut lire cet ouvrage pour prendre la mesure de l’infamie républicaine. Moins une étude scientifique qu’un témoignage. Car nous sommes encore dans ce temps du témoignage, d’un témoignage qui n’a pas pu, jusqu’à aujourd’hui, se faire entendre ! Viendra plus tard le tournant de l’étude. S’il en est temps du reste : la première génération a presque entièrement disparue. Reste les générations suivantes. Et notre histoire. Reste notre histoire en effet, car reste la richesse de cette histoire dont il faudra bien un jour prendre la mesure.
Qui étaient ces français d’Indochine ? Des très riches et des très pauvres, et toutes les classes intermédiaires. Une population qui avait inscrit en elle la mémoire à la fois du colon et du colonisé, du dominant et du dominé, du possédant et du dépossédé. Et parmi les plus modestes, une population incroyablement métissée : tout l’Empire français avait déversé là ses racines : tirailleurs marocains, sénégalais, légionnaires roumains, émigrés russes, allemands, de tous les coins du monde le monde était venu donner naissance, en Indochine, à une nouvelle identité issue des plus incroyables métissages qu’il était possible d’imaginer ! Singulière mémoire du Monde ! N’était que les enfants de ce monde n’ont bien souvent hérité que du silence de leurs parents, lesquelles ont dû se taire dans un pays qui ne voulait pas les entendre. Mais du camp des oubliés montent, là aussi, des paroles où réinscrire notre histoire commune. L’Histoire, disait Marc Bloch, c’est la dimension du sens que nous sommes. Que nous acceptons d’être, que nous voulons être. Une conscience, une volonté que nous aurions tort d’amputer de telles dimensions de sens.
Petits Viet-Nams, de Dominique Rolland, éditions Elytis, 27 novembre 2009, 208 pages, 16 euros, ISBN-13: 978-2356390325.
Lien : http://www.rapatries-vietnam.org/
un documentaire : Le Camp Des Oubliés - Les Réfugiés Vietnamiens En France, de Marie-Christine Courtès, éditeur : Vodeo.Tv, 24/04/2006, 11 euros.