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2 juillet 2013 2 02 /07 /juillet /2013 07:56

pasolini-paul.jpgUn scénario. Le scénario d’un film ambitieux cinématographiquement, que Pasolini n’a jamais eu les moyens de tourner. Un scénario écrit en deux mois : mai et juin 68, dans la farouche conviction de son actualité. Un film interrogeant, comme l’évoque Alain Badiou dans sa préface, les vérités implacables auxquelles notre vie individuelle et notre vie collective sont confrontées, et "du sens qu’elle(s) peu(vent) ou non recevoir du monde tel qu’il est".

Un film sur le déchirement, le hiatus qui informe le couple malheureux du sens et de la vérité, Paul incarnant à merveille ce conflit que chaque engagement réactualise, entre la nécessité politique et la question du sens. Comment une vérité quelconque pourrait-elle faire son chemin dans ce monde ? On se rappelle les totalitarismes, l’Inquisition, les mensonges de Droite, de Gauche…

Un film u-crhonique, écrit au présent du monde contemporain, transposant la vie de Paul dans les villes qui sont les nôtres, New York, Paris, Rome, Barcelone… Où Paul voyage pour annoncer une Parole de vérité, violente, inouïe, expliquant sans relâche, pédagogue, politique, construisant jour après jour l’institution qui lui paraît la plus apte à porter cette Parole : l’Ecclesia, cette Assemblée des chrétiens qui n’est ni une civitas, ni une polis.

L’histoire de l’Eglise naissante donc, dont il ne sait si elle saura conserver la Passion qui le porte. Et donc l’histoire de Paul, rendant compte de l’état des connaissances sur son sujet dans les années 60 –depuis, cette connaissance a évolué, en particulier en ce qui concerne sa formation intellectuelle, littéralement époustouflante, ou la véritable nature de sa persécution des chrétiens : Paul ne disposait pas de pouvoirs de police, mais seulement de dénonciation, ou bien encore sur ses relations avec les autres Apôtres et la légende de son martyre à Rome.

Le scénario, détaillé, permet d’imaginer cette ambition d’un film récapitulant d’un coup toute cette longue histoire de l’humanité "occidentale", depuis son fameux an zéro à nos jours. Ici, depuis la guerre de 39-45 jusqu’aux portes du triomphe du néo-libéralisme. L’Histoire commence à Paris, sous la botte nazie, une poignée de résistants (les Apôtres) conspirant contre cet ordre qui déferle sur l’Europe, dont Etienne, le premier martyr chrétien, sera la première victime. Le traitement paraît saisissant : Pasolini avait imaginé d’entrechoquer les séquences d’images d’archives, graduées dans leur violence par l’opposition qu’il voulait en tirer avec nos discours rassurants sur l’état de notre monde, si loin, on aimerait tant le croire, de la violence nazie. Mais l’étrangeté majeure, c’est la partition de Paul, parlant toujours dans le film la langue de ses Êpitres ! Le pari de la vérité de Paul peut-il résonner en nous aujourd’hui encore ?

New York, Paris, Rome, Barcelone… L’Atlantique a pris la place de la Méditerranée. Paul voyage, inlassable, dans ces villes qui sont devenues le siège de la bourgeoisie hypocrite, arrogante, cultivant déjà son racisme de classe et son racisme tout court, comme le seul horizon politique capable de la maintenir hors de portée des révolutions politiques ! Déjà ! Une bourgeoisie insultante qui sait donc comment elle fera face désormais à ce monde d’angoisse qu’elle génère, ce monde pessimiste que Pasolini décrit, d’une lutte sans espoir menée par les Noirs américains et les classes européennes pauvres…

Pasolini filme au plus près de ce cynisme, sans concession, scrutant avec la même sévérité les discours moraux de Paul, qu’il imaginait de passer en bande son tandis qu’à l’image nous aurions vu l’Eglise chrétienne d’aujourd’hui, sa pompe et ses rituels, sa hiérarchie et son peuple assommé socialement, courbant l’échine avec piété.

"Toute institution, écrit Pasolini, implique un pacte avec sa conscience". L’Eglise bien sûr, et Pasolini d’égrener la liste des papes criminels, mais les démocraties occidentales aussi bien, qui n’en finissent pas de nous faire payer le prix de leur inachèvement. Pasolini aurait filmé entre autres les habitants de "ces immeubles incolores (de banlieue), décrépis et immenses qui torturent l’horizon". Le Pouvoir a le même visage partout. Mais le mépris de la Vie Publique de Paul, où son sens de la morale se fonde, finit par troubler Pasolini. L’Eglise était-elle nécessaire ? Comment s’organiser ? La question vaut pour lui de toute construction d’une force politique qui se proposerait de changer la vie : quelle force construire qui ne renierait pas son événement ? Comment redéfinir la polis au fond, sinon le politique et l’engagement politique, qui ne nous dépossèderait pas de nos vies ?

Il faudrait ici bien sûr poursuivre la réflexion dans le sens de cette dialectique de l’abjection et du sublime que construit Pasolini, où la religion s’incarne comme paradigme poétique et praxis d’une conduite de vie qui refuserait de trouver son sens dans l’oubli de la zoê, tel que les philosophes du politique nous l’ont légué. Une réflexion à mener donc, une autre fois…

  

 

Saint Paul, Pasolini, éditions Nous, préface d’Alain Badiou, traduit de l’italien par Giovani Joppolo, 23 mars 2013, 184 pages, 18 euros, ISBN-13: 978-2913549821.

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