ONFRAY : LA PSYCHANALYSE N’EST PAS UNE SCIENCE…
Michel Onfray déplorait que Freud n’ait pas enfermé son inconscient dans une définition formaliste. Il dénonçait aussi les maladresses de Freud : ce dernier avait cherché, cru trouvé, s’était repris, etc. Mais à vrai dire, il n’y avait là rien de bien nouveau pour le milieu scientifique, où la bonne compréhension n’est jamais l’état naturel dans lequel se trouve le chercheur à l’orée de vérifier ses hypothèses. En outre, du point de vue de la conscience historique, il paraît aujourd’hui difficile d’en faire le reproche à Freud : nous ne sommes plus au XVIIIème siècle, qui se plaisait à construire des systèmes rationnels auxquels prêter une validité universelle. Un Dilthey en avait déjà ruiné l’illusion : les notions de causalité ne sont guère que des résidus d’abstraction. Et si l’univers n’est pensable, ce n’est pas parce qu’il serait essentiellement raison, mais bien plutôt parce que nous lui cherchons des raisons d’être ce qu’il est. Raisons qu’il n’est enfin pas si aisée d’établir : les catégories de cause ne sont jamais totalement claires à l’intelligence. Ainsi, la validité des déductions logico-mathématiques doit-elle être proposée avec humilité, une instance non rationnelle se trouvant toujours dissimulée dans le concept de rationalité, ainsi que l’avait démontré Heidegger.
Reste à savoir si la psychanalyse est ou peut devenir une science… Non au sens des mathématiques, mais à celui des sciences de la nature, qui s’appuient sur un raisonnement par induction, l’observation, dont on essaie de tirer quelques lois plus générales. De ce point de vue, l’objection de Hume pourrait paraître pertinente, pour qui toute science était une croyance, dans la mesure où elle se fondait sur une expérience qu’elle prétendait ensuite généraliser. Karl Popper, on le sait, avait brillamment contourné l’aporie : le but de la science, énonçait-il, est de faire des hypothèses qu’on essaie ensuite de vérifier et, surtout, de réfuter -ou falsifier plutôt : la falsification ouvre la possibilité de conclusions valant certitudes. Dans ce système de pensée, on le voit, une dissymétrie s'incise entre la certitude qui porte sur la vérité et celle qui porte sur l’erreur : cette dernière est totale. Mettre en place un système de falsification est ainsi constitutif de la vraie démarche scientifique.
Or la psychanalyse n’est pas falsifiable : elle génère toujours des hypothèses ad-hoc a posteriori pour contourner une difficulté, rajoutées ensuite à la théorie pour la vacciner. Comme le suggère Onfray, oui, la psychanalyse a raison à tous les coups. Ce qui la condamne aux yeux d’un Popper, ou du moins, ce qui prouve qu’avec la psychanalyse on n’a pas affaire à une théorie scientifique. Pour autant, cela ne veut pas dire que la psychanalyse soit sans fondement théoriques possibles. Car à ce titre, l’économie également ne serait qu’une métaphysique… Or tout comme dans le cas de l’économie, une grande part des énoncés psychanalytiques ne peuvent être totalement soustraits de leur poids et de leur efficacité. La seule conclusion à tirer, c’est qu’il faut garder une certaine prudence vis-à-vis des énoncés psychanalytiques. Les neurosciences par exemple, ont permis de relativiser les études de Freud sur le lapsus. Mais non de les passer par pertes et profits.
Quant au transcendantalisme de Michel Onfray, qui se complaît à chercher un bruit lointain dans la raison du devenir freudien, pour le dire en employant une image propre au vocabulaire des astrophysiciens, il n’est pas non plus exclu qu’il n’ait quelques raisons de le faire : l’universalisation du modèle psychanalytique répond peut-être à un besoin humain profond dont on aurait sans doute intérêt à comprendre pourquoi il fonctionne sur ce mode et sous ce modèle, plutôt que sous celui de la Tragédie grecque par exemple, ou du discours philosophique. Pour le dire autrement : pourquoi, par exemple, vaut-il mieux que la psychanalyse soit une thérapie, plutôt que la philosophie ? --joël jégouzo--.
CONTRE HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE VOL 15 et VOL 16, FREUD (1) et (2) PAR MICHEL ONFRAY, Direction artistique : PATRICK FREMEAUX