«Non fare nulla qui» (Pierre fétide de Chiusi) - Croquis étrusques
La tombe étrusque de l’inscription, à Chiusi : "non fare nulla qui"…
Que ferions-nous du reste, de ce côté où la vie n’est plus ?
Lamentation, cortège, transport du corps, jusqu’à sa dépose mélancolique au bout du chemin : la nécropole de Chiusi enfouie sous la terre.
Une pleureuse à tresses veillait. J’avais en tête les croquis étrusques de D.H. Lawrence. Il croyait croiser partout les traits qu’il prêtait aux anciens Étrusques, fasciné qu’il était par cette civilisation disparue, absorbée.
Fin mars 1926. Lawrence voyage en Italie, dont il ne veut épeler que l’apparente jeunesse pour mieux l’opposer à la fatigue de l’Angleterre. Ils ont la vitalité et nous la morale songe-t-il, et se rappelle l’incipit du livre de Balzac, La peau de chagrin, dans lequel le héros commence par observer un vase étrusque - "Ah ! Qui n’aurait souri comme lui de voir sur un fond rouge la jeune fille brune dansant dans la fine argile d’un vase étrusque devant le Dieu Priape qu’elle saluait d’un air joyeux".
Le voici penché sur les tombes qu’il dessine à grands traits. Des êtres à visage de faunes, au profil infiniment pur, au calme étrange, "éloigné de toute morale".
Lawrence imagine une civilisation insouciante, légère, forcément condamnée à disparaître dans un monde que la lourdeur a fini par figer peu à peu.
Qu’aurions-nous fait des danses, du rire, des chants ? Quelle harmonie aurions-nous célébrée ?
Seule l’attire cette "verte primitivité" chère à Kierkegaard qu’il croit voir fleurir partout dans les œuvres des étrusques, "émerveillement des matinées humaines".
Le retiennent plus encore ces visages féminins qui ornent les tombes, "ces belles femmes en qui se mêlent ce silence et cette réserve qui les rendent si attirantes".
Leur beauté l’intrigue. Il cherche en chacune d’elle ce qu’il manque au regard pour la saisir vraiment et qui sans doute aura été perdu.
Quelque chose que nous ne pourrions plus atteindre.
Une forme souveraine d’harmonie, l’éternité peut-être, du nom que Rimbaud lui donna : le secret de la fraîcheur native de la vie.
A Chiusi un buste de femme nous avait retenus. Jacques me l’avait donné à contempler, fasciné par son modelé taillé dans la pierre fétide, l’étoffe légère recouvrant à peine et pour l’éternité ce sein que l’artiste laissait deviner et qui palpitait voluptueusement dans la pierre.
L’éphémère sculpté pour les siècles, déesse méditerranéenne avec ce sensualisme propre aux étrusques, attaché au jeu des courbes qui contredisait ce que les spécialistes pensaient de cet art à qui ils reprochaient d’avoir surtout imité la technique de la statuaire grecque sans en copier l’esprit.
J’ai contemplé de nouveau longuement cette poitrine réjouissante, calme, souveraine, me rappelant la conscience "phallique" de Lawrence, le monde merveilleux du toucher, dont la force rayonnante s’échappe des œuvres étrusques.
Ce que l’on cherche, c’est un contact.
Lawrence avait au moins raison sur ce point : "Les Étrusques, disait-il, ne sont ni une théorie ni une thèse. Ils sont, d’abord et avant tout, une expérience".
Non cette expérience ratée des musées, bricolée pour ajuster leur agencement intangible. Mais celle qui fait du savoir une expérience fragile.
"L’air du dehors nous paraît immense, blême, et de quelque façon vide. Nous ne percevons plus aucun des deux mondes, ni celui, souterrain, des Étrusques, ni celui du jour banal qui est le nôtre. Silencieux, épuisés, nous revenons vers la ville environnés de vent, le vieux chien stoïquement sur nos talons – et le guide nous promet de nous montrer les autres tombes dès le lendemain" (D.H. Lawrence)
Croquis étrusques, D.H. Lawrence, traduit jean-Baptiste de Seynes, préface de gabriel Levin, Le bruit du temps, mai 2010, 286 pages, 20,40 euros, ISBN-13: 978-2358730198.