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La Dimension du sens que nous sommes

NEOLIBERALISME ET ETAT SECURITAIRE

29 Novembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

 

Couv_punirpauvres.jpgL’étude de Loïc Wacquant est relativement ancienne : elle date de 2004. Mais avec le recul, elle s‘avère extraordinairement éclairante du déploiement de la logique néo-libérale dans le monde, à un point même que son auteur n’a peut-être pas imaginé. Largement centrée sur ce laboratoire que constituait alors les Etats-Unis dans la montée en puissance des discours sécuritaires, Loïc Wacquant tentait de comprendre les raisons de cette construction à bâtons rompus de l’Etat sécuritaire.

Les chiffres parlaient d’eux-mêmes : les Etats-Unis étaient entrés dans une frénésie d’incarcération, jamais on avait autant emprisonné que depuis les années 80, jamais autant de noirs, jamais autant de pauvres, jamais autant de chômeurs : l’Etat carcéral surgissait sur les ruines de l’Etat "charitable". La régulation des classes populaires semblaient devoir passer par l’Etat pénal, plutôt que le redéploiement des richesses du pays. De Bush à Sarkozy, la geste sécuritaire affirmait partout son bien-fondé. Et partout selon une même rhétorique visant à produire du spectacle sécuritaire pour le constituer en enjeu idéologique. La scène sécuritaire, partout, se ritualisait, les mêmes éléments de langage fleurissaient de part et d’autre de l’Atlantique, matraqués à longueur de journée pour nous les faire entrer dans le crâne, enchaînant pêle-mêle les mêmes figures : l’insécurité, dans le métro, dans les banlieues, le danger que représentaient les réfugiés et autres immigrés en errance sur les sols nationaux, le laxisme des juges, le Droit des victimes, les chiffres des batailles menées contre la délinquance de rue, érigée au statut de fléau national. Partout il fallait obtenir que le traitement pénal se substitue au traitement social. Le manège sécuritaire se mit dès lors à extraire artificiellement les comportements délinquants de la trame des rapports sociaux où ils faisaient sens, pour nourrir les fantasmes d’ordre d’un électorat poussé de plus en plus à droite.

Parallèlement à l’affaiblissement de la Puissance Publique, à la perte de sa souveraineté face à la Finance, on ne parlait que de reconquérir les zones de non-droit : il s’agissait de restaurer symboliquement l’autorité de l’Etat là où il pouvait encore évoquer sa souveraineté, qu’il perdait partout ailleurs, surtout en Europe. Le spectacle de la répression du Peuple souverain permettait d’exhiber les signes de l’autorité d’un Etat de plus en plus labile.

Et "curieusement", on cibla presque exclusivement l’approche sécuritaire sur la délinquance de rue et les zones urbaines en déclin, alors que dans le même temps la délinquance en col blanc et celle de la Finance explosaient.

garnier-217f5.jpgLongtemps on a pensé que la transformation politique majeure de notre monde contemporain venait du fait que notre modèle social était en faillite, alors qu’en vérité, il ne s’agissait que d’accompagner idéologiquement l’avènement du néolibéralisme, dont le seul horizon était de mettre fin à cet Etat Providence, et à plus long terme, de mettre fin tout court à l’Etat de Droit, comme on le voit en Grèce, laboratoire européen des derniers obstacles au triomphe du néolibéralisme.

On a ainsi assisté, impuissants ou complices, à l’explosion des populations carcérales, les prisons, françaises en particulier, connaissant désormais un taux d’occupation indigne d’un Peuple civilisé. Partout on a accepté dans la foulée l’extension continue de la mise sous tutelle judiciaire, la prolifération des banques de données plus ou moins criminelles, sans jamais essayé de corréler par exemple ces logiques à celle qui présidaient à la chute drastique de l’aide aux démunis, transformant peu à peu cette aide en travail forcé, ni moins encore avons-nous été attentifs à la diffusion d’une culture raciste, excluant peu à peu du champ de la citoyenneté des hommes et des femmes demeurant pourtant de plein droit des "nationaux".

L’Etat pénal qui a vu le jour dans le sillage de ces discours sécuritaires ne répondait en fait en rien à la montée de la criminalité, qui resta stable de tout ce temps. Car en réalité il ne faisait que répondre aux dislocations provoquées par le désengagement social et urbain de l’Etat, en France comme aux Etats-Unis, ou par l’imposition d’un travail de plus en plus précaire, en France comme en Allemagne, devenu la norme nouvelle de citoyenneté pour les classes populaires et aujourd’hui, à leur tour, pour les classes moyennes.

Mais contrairement à ce que Loïc Wacquant pouvait percevoir en 2004, l’Etat sécuritaire n’aura pas été une réponse "détournée" à la généralisation de l’insécurité sociale, il aura été son fondement même : surveiller et punir est la discipline du salariat précaire que le néolibéralisme installe un peu partout dans le monde, refusant désormais de socialiser les classes pauvres pour les abandonner à leur misère, et produisant pour un temps encore, à l’adresse des classes moyennes et riches, un leurre puissant destiné à rendre invisibles les problèmes sociaux. Il ne s’agit plus simplement de punir les pauvres, mais d’entraîner tout le corps social dans l’abîme sécuritaire et raciste que pointe l’horizon néolibéral.

 

 

 

Punir les pauvres, le nouveau gouvernement de l’insécurité sociale, de Loïc Wacquant, éd. Agone, coll. Contre-feux, février 2004, 352 pages, 20 euros, isbn 13 : 9782748900231.

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