Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La Dimension du sens que nous sommes

Mo Yan, la Belle (littérature) à dos d’âne…

23 Novembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

 

mo-yan1.jpgPrix nobel de littérature 2012.

Han Qi est dépassé par cette Chine en pleine mutation où l’on ne sait plus contempler les éclipses, celles qui ont déjà eu lieu, ou pas, comme celles qui n’auront peut-être pas lieu et l’inverse. A moins qu’il ne s’agisse d’autre chose. Sur ce point, Han Qi ne parvient pas à se prononcer. Il n’a peut-être vu qu’une comète après tout. Ou un grand cerf-volant. Allez savoir. La réalité n’est jamais aussi mathématique qu’on l’aimerait. Tenez, Han Qi vient justement d’apercevoir une jeune femme en robe rouge juchée sur un âne. En plein Pékin. Noir. L’âne. Et petit. Un âne quoi. Suivi d’un homme à cheval. En armure. Tandis que les voitures, toujours plus nombreuses dans cette Chine conquérante, se talonnent comme des moutons. Prévenantes tout de même. A l’égard de l’âne sur lequel est juchée la jeune femme. Belle, évidemment. Mais incongrue, là, au beau milieu de la circulation. Tout comme l’homme en armure qui la suit. Dont on se demande ce qu’il fait là, je veux dire : dans le récit aussi bien. A quoi joue-t-il ? Quelle est sa fonction plutôt ? Surtout lorsque, en bon lecteur moderne, on a lu Genette et que l’on sait à quoi s’en tenir sur le genre, à réciter mentalement que tout récit comporte une part de représentation d'actions (on suit l’âne et le cheval dans l’embouteillage géant), d'événements (l’irruption de l’un, de l’autre, d’une éclipse ou pas…), en se disant bon, ça, c’est la narration, tandis que pour son autre part la description se charge de la représentation des objets qui vont donner corps au récit, etc.

Vous n’y êtes pas. Ou plutôt, si : c’est l’histoire même, ça. Sa justification pour ainsi dire. Dont s’inquiète Han Qi, beau joueur, qui nous prend en charge et nous mène juste derrière l’âne sur lequel est juchée une belle jeune fille. Même si le récit, lui, ne sait trop qu’en faire de cet âne, du cheval, de la jeune fille et de l’homme qui la suit… Qu’importe : Han Qi, lui, sait quoi en faire : il les suit. A moins qu’il ne les précède pour nous aider à mieux suivre le récit. Allez savoir ! Quelque chose comme une expérience du texte en train de s’élaborer –ce que, de fait, notre lecture sanctionne avec son temps de retard.

Il y a donc cet âne, la jeune fille, l’homme en armure et la police qui les somme de s’arrêter. Un flic frappe même l’armure du cavalier. Qui sonne vide. Evidemment : ce cavalier n’a d’autre fonction que de nous intriguer, pas d’encombrer Pékin. Décontenançant le flic, sauvé par la chute d’une bouteille de bière, de marque allemande. C’est précis. Si précis que cela fait entrer du coup notre réel dans la réalité du récit. Je bois la même. Un effet de réel comme disent les techniciens de la littérature. Mais peut-être pas. La canette troue bien de part en part le récit, mais ce dernier l’engloutit aussitôt… Voilà notre canette recyclée aussitôt dans l’ordre du conte –ce qui, après tout, devrait être le lot de toute canette de bière, ce recyclage…

Tandis que toute la foule est devenue Han Qi. A son même visage lisse. Respirant, inspirant tout l‘amour qu’il éprouve déjà pour la jeune fille juchée sur l'âne. Quand de nouveau resurgit le réel sous les traits d’une moto, de deux plutôt, et d’un fourgon de police. La Chine contemporaine a horreur de ce disponible où les contes vous transportent. Place Tian'an men. L’âne, le cheval, traversent alors la place jusqu’au grand immeuble du Centre Commercial International. La nuit tombe. Il ne reste que Han Qi derrière le cheval blanc, qui lâche un crottin et part au triple galop… dans une superbe cavalcade, réalisme hallucinatoire si l’on veut ainsi que le qualifient les critiques, où l’effet de réel, dans un récit au fond privé de toute fonction référentielle, n’ouvre qu’à la malice du conte, où l’écriture reste inexorablement un lieu de fiction, magique !

  

 

 

La Belle à dos d'âne dans l'avenue de Chang'An, de Mo Yan, traduit du chinois par Marie Laureillard, éd. Philippe Picquier, coll. Grand format, mai 2011, 192 pages, 16,70 euros, isbn 13 : 978-2809702651.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article