Marseille une biographie, François Thomazeau
Les ruines du château Forbin, la vallon Saint-Cyr, le virage où s’agrippe la pagode… Les sentiers buissonniers de Pagnol ont disparu. Reste le bitume, qui macère, l’esprit de Marseille tapi dans l’ombre et la clarté –non la lumière. L’Esprit de Marseille : le mystère de ses collines, des hommes qui errent, là-haut, braconniers, pompiers, joggeurs, gamins effrontés, dans un monde d’arbousiers et de sauterelles. L’Esprit de Marseille, nous conte Thomazeau, c’est le silence d’un soleil de plomb, les grillons, la chaleur, la poussière que les sandales soulèvent, les marches lentes, obstinées, et au détour d’un sentier d’épines, presque une foule de gens venus d’on ne sait où. Et sur l’autre versant, ce sont les falaises creusées de grottes où les promeneurs ramassent des silex taillés, la préhistoire qui affleure sans cesse, et le vallon de l’Homme mort. Trois collines et un fleuve, et la banlieue pour horizon. Mais c’est autre chose encore, qui se dérobe toujours dans cette ville dont Thomazeau nous dit qu’elle ne peut se saisir qu’en « lambeaux de descriptions». Marseille ? Un village, une banlieue, une capitale immense et quelque chose d’indicible, une identité qui se refuse. L’expression est forte. Marseille ? C’est ici et là, là-bas plutôt semble-t-il, que borde la mer indigo, le ciel bleu, la pierre blanche dans l’imposture de la lumière, de la nuit, des truands qui voudraient la confisquer en de grands gestes théâtraux. Une ville «mal foutue», «mal embouchée», «mal partie»… Qui ne cesse de refourguer un imaginaire de peuchère –partie de carte, pastis, Pagnol. Mais quid de la pagode ? Et de ses alentours , ces baous où dénicher la plus ancienne sépulture d’enfant de la région ? Comme s’il fallait tourner le dos à la Méditerranée pour comprendre quelque chose de cette ville millénaire. Le port ne serait alors qu’une vitrine de mâts, d’îles, de forts. Port bouclé au demeurant, embrigadé, inaccessible. Marseille, ce présentoir ? Il faut chercher ailleurs, confie Thomazeau. Au plus enfoui, dans les criques qui bordent la ville, dans cette grotte cachée au fond d’une calanque, où dure le premier meurtre, dans la grotte Cosquer, parmi ses peintures rupestres : celle de l’Homme tué. La plus ancienne représentation de ce territoire mélancolique, peinture d’un homme transpercé par une lance, comme une accusation indéchiffrable. Ou bien faut-il chercher là-haut, dans au-delà de cet oppidum laissé en friche par les archéologues eux-mêmes, vers Saint-Marcvel, qui formerait comme une frontière coupant la ville de la Provence. Là, sur ce plateau qui ouvre l’horizon à tout l’espace marseillais. Le vrai point de vue. Patient typographe, Thomazeau conte la fondation de Marseille, les phocéens, les Sébobriges, ces gaulois de Marseille massacrés par les romains. Marseille, ville gauloise ? Ville des naufrages au milieu desquels rôde encore l’Homme tué. Thomazeau enquête. Superbement. Il reste peut-être quelque chose de cette histoire dans le repli et cette peur des gens qui constituent peut-être leur plus terrible identité. De ce côté-ci de la frontière, dans cette ville étrangère plantée dans un milieu hostile. Marseille ville monde pourtant, et peut-être parce que c’est la ville monde par excellence, cosmopolite. Une ville toujours sur le départ dans cette biographie magnifiquement scénarisée, qui houspille l’Histoire et nous malmène, aujourd’hui capitale européenne des cultures –mais les cultures arabes ? Repoussant sans cesse la construction d’une grande mosquée… Reste Amar donc, l’enfant qui n’a cessé de le suivre dans cette fiction surprenante, Amar, l’âme, soyons-en certain, de Marseille, «mort d’une trop grande soif de vivre».
Marseille une biographie, François Thomazeau, éd. Stock, coll. Essais – Documents, mars 2013, 384 pages, 20 euros, ISBN-13: 978-2234074156.
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