Marcel Proust, Lettres 1879 – 1922
"Puisque le genre sublime ne me va pas, j’essaierai du bourgeois." (Proust à son grand-père, 1886).
Une édition nouvelle de la correspondance de Marcel Proust. On pourrait s’en étonner, la Kolb, en vingt-et-un volumes demeurant la référence en la matière. Celle-ci toutefois ne représentait que le vingtième de la correspondance totale, montrant assez d’une part qu’il reste beaucoup à publier encore, et qu’en pareille occasion, il est toujours tentant d’écarter de son choix toutes les lettres qui contreviennent à l’image que l’on veut donner du grand auteur génial… Kolb n’a pas failli. L’édition Plon nous restitue de fait certains passages tronqués de l’édition princeps, corrige nombre d’erreurs de datation, exhume les lettres égarées, oubliées, etc. … 627 lettres inédites au total font ainsi surface. Des lettres qui donnent une tout autre image de Proust, que l’on découvre ici très au fait de l’actualité de son temps, littéraire, scientifique, philosophique (il correspondait avec Bergson), politique, et surtout très actif quant à sa notoriété.
Mondain, Proust cherchait à plaire, collant la plupart du temps à l’attente de son lecteur, flattant, flagornant, se délectant de sa propre obséquiosité, disant tout et son contraire, convaincu que les faits n’existent pas, seul comptant leur écho…
Les lettres sont pourtant privées dans cette édition. Mais cette correspondance relève au fond moins de l’intime que de la volonté de construire un personnage public, façonné avec componction ligne après ligne.
Les lettres les plus intimes, elles, semblent avoir été détruites dans leur quasi totalité, dès la mise en œuvre de la première correspondance Kolb par le frère de Proust, qui voulait édifier un monument à sa gloire. Il y a bien cette correspondance avec sa mère, qui nous livre un Proust bêtifiant, et ces quelques lettres à Reynaldo où se dévoile toute la jalousie de Marcel. Mais c’est bien tout. Le lecteur attiré par les petits travers de la personne humaine restera sur sa faim.
Reste un formidable objet d’étude, sur le roman français contemporain de Proust par exemple, ce dernier n’ayant cessé de le commenter au gré de ses lectures, d’une immense complaisance certes, mais balayant tout de même un paysage exhaustif, dont la médiocrité l’emporte. On y trouve donc un Proust s’extasiant ou se récriant selon l’attente de son lecteur et colportant ce qui se dit –là est tout l’intérêt de l’exercice.
Une correspondance affectée donc, calculée, de complaisance, dévoilant un comédien qui sait exactement quelle flatterie livrer pour obtenir les grâces de tel, quel bon mot lâcher pour rester en faveur auprès de tel autre poids lourd des Lettres françaises –lesquelles, à cette distance, paraissent aussi vaines qu’elles le sont aujourd’hui, soit dit en passant…
Proust intrigue. Il suit les débats esthétiques, participe aux querelles mondaines et finit par développer une connaissance pertinente de ce milieu, au sens où il sait bientôt quelle place pourra y être la sienne. On le voit donc esquisser son style, lancer des ballons d’essai, préciser prudemment ses décisions esthétiques, dessiner peu à peu les thèmes de la Recherche, tester des façons naissantes, stabiliser petit à petit les formules qu’il incorporera plus tard dans son œuvre. Mieux que quiconque, Proust a compris qu’être écrivain, c’est savoir se positionner dans le champ littéraire, pour mettre en place la stratégie discursive et littéraire qui lui permettra d’occuper cette place. Possédant à la perfection cette connaissance, il saura bien vite trouver les critiques, les auteurs, les journalistes dont il lui faudra s’entourer pour conquérir la gloire.
Marcel Proust, Lettres 1879 – 1922, Plon, janvier 2013, 1353 pages, ISBN-13: 978-2259185059.