Malcolm Lowry, Le feu du ciel… et la dérive infinie des hommes
Deux nouvelles introuvables de celui qui vitupérait contre la presse, agacé qu’on le prît pour un bon samaritain bourré et qui, quoi qu’il arrive, par-delà la culpabilité, l’alcool et les signes divers, tenait bon quand le monde se laissait, lui, gagner par une sorte d’hystérie.
Des leçons de Lowry, je veux bien ne me rappeler que ces successions d’orages alors que l’incendie couve sous sa maison et que les portes des prisons s’ouvrent en grand.
Lisez le donc, ne lisez rien d’autre et surtout pas ces Goncourt saupoudrés d’une philosophie maigrelette. Lisez Lowry qui égrène sans fin les incendies de la raison et qui, de cauchemars en cuites phénoménales, sait n’imposer aucune explication soutenable. Lisez Lowry, toute lumière devenue confuse, tenant bon vivre loin du mépris facile des cyniques aux dents élimés, tenant bon le cap de l’orage et des tempêtes que chaque être recèle. Lisez Lowry déambulant le long des routes fades, la foudre à portée de main pelée d’intelligence, quand bien même aucune intelligence ne se manifeste plus qui pourrait l’emporter sur la foi -en quoi reste la question de ce détraquement universel qui fait que l’esprit n’est peut-être pas la bonne manière d’affronter toute épreuve.
("La volonté, affrontée à son propre mal panique, incapable de se sauver toute seule", et "se surprend à croire à la grâce" M.L.)
Malcolm plonge dans l’océan, les vagues, avec répugnance, le rejettent vers le rivage, mais il a dégraissé sous l’écume abusive les frontières de l’univers romanesque. Peu d’écrivains en furent capables.
Lisez-le donc, tout Lowry, et non uniquement sa grande tragédie lyrique, Under The Volcano (1947). Car il reste de lui quantité de textes où triomphe cette intrigante passion du réel qui l’animait tant, son écriture à son exigeant travail, toujours, et non obligeamment forclose sur quelque labeur stylistique sans espoir.
Lisez son œuvre comme un appel à la jouissance, exultant du désir sacré des corps dont la force animale ne s’accorde qu’aux mondes plus amples que ceux qu’on nous a faits.
Lisez cette œuvre singulière, pleine de ferveur renversant les usages du bien écrire, carnavalesque et mélancolique, ouverte sur une physique de la réplétion et non de l'anhélation penaude, telle celle d’un Ferrari.
Lisez-le, lui qui savait faire vraiment de la littérature un phénomène. Et lisez-le en anglais si vous le pouvez, pour savourer sa grammaire incongrue, ses élisions temporelles trouant de part en part un texte aux sursis impeccables. Voyez comme il sait travailler au corps les signifiants du discours littéraire, enchâsser les phrases, nuancer la syntaxe. Regardez ce qu’il fait du concept de mélancolie, du concept d’entropie dont d’autres usent à la va comme je te pousse.
Corps et âme, lisez Lowry, suez en lui ces gouttes qui montent au visage de l’agonie. Mâchez ses mots, si matériels qu’ils en percutent les corps et laissez-vous porter par le rythme de sa phrase, à bout de souffle logeant l’homme dans sa démesure.
Soignez les corps rédempteurs, ne vous effrayez pas des résonances cosmiques de l’œuvre. Jetez plutôt vos vieux romans, oubliez le fatras des littératures secondaires, leurs yeux prématurés ignorant que tout livre est un esquif embarqué dans un voyage qui n’a jamais cessé.
Lisez Malcolm balayant les opacités feintes de ces romans imbéciles qu’on voudrait nous faire prendre pour de la littérature quand ils ne sont que des reliefs abandonnés aux vivats. Ne soyez pas dupe, errez en sa compagnie titubante et face au désenchantement du monde, résistez à l'esthétique virulente du communiqué, à l’équivocité fascisante. Préférez la polyphonie fuyante, énigmatique, de Lowry : lui sait réellement explorer le malaise et le sentiment d'étrangeté que tout homme en exil de lui-même éprouve. Et si l’on vous raconte que c’est toujours au milieu des champs de ruines que l'homme goûte à la beauté, élisez plutôt les riens dont se soutient son œuvre que les fadaises des rédacteurs qui n’exhibent qu’une écriture au fonctionnement symptomatique d’une société gagnée par le fascisme.
Lisez Lowry, qui sait ce qu’il en coûte de réintroduire le jeu et la liberté dans un système romanesque au bord de l’asphyxie.
Le feu du ciel vous suit à la trace, monsieur ! Suivi de Le Jardin d'Etla, de malcolm Lowry, traduit de l’anglais par Clarisse Francillon, Geneviève Serreau et Robert Pépin, éd. Librairie La Nerthe, coll. La petite classique, nov. 2012, 56 pages, 7,50 euros, isbn 13 : 978-2916862347.
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