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20 novembre 2012 2 20 /11 /novembre /2012 05:24

 

 

darwich.jpg"J’ai appris que la terre était fragile. J’ai appris que la langue et la métaphore ne suffisent pas pour fournir un lieu au lieu"…

Cinq entretiens, dont quatre traduits de l’arabe et un de l’hébreu. Mahmoud Darwich s’y livre pleinement, racontant son enfance, ses racines, la terre de ses ancêtres donc, dans sa vérité concrète de tourbe et d’humus pris dans la succession des saisons. Une histoire des corps tout aussi bien, les mains enfouis dans le giron de la terre pour en tirer leur subsistance. De matières qui font corps. Et de poésie, dans ce lien unique où cette histoire se lie, insufflée par le verbe.

Mahmoud Darwich parle d’un lieu disparu entièrement, le village où il est né rasé par les bulldozers israéliens, la terre interdite de son enfance réfugiée à Beyrouth, son village natal rayé de la carte.

Mahmoud Darwich raconte ce lieu dont la disparition le contraignit à déposer ses pas dans ceux d’une Histoire plus vaste que la sienne propre, et le témoin qu’il devint, pointant l’étranger comme l’une des désignations du moi, désormais.

Il raconte cette passion depuis lors, chevillée à même la part intime qu’on lui a dérobée, dérobant à son tour elle-même à l’amour la trêve des corps acharnés à être.

Il raconte comment s’est construite lentement sa vision de l’Autre, qui ne pouvait être que lui-même, et comment cette vision de l’Autre palestinien qu’il était désormais fut broyée méticuleusement par la machine scolaire et médiatique du ghetto du vainqueur.

Mahmoud Darwich raconte ce cheminement des peuples poussés en diaspora, qui ne sont que des cheminements d’étrangers découvrant soudain la force des mots. Sa poésie, qui rendit lisible pour les deux camps la terre palestinienne.

Mais, ayant accompli sa terre dans sa langue, Mahmoud Darwich refuse de la réduire à la souffrance d’une géographie perdue. Sa poésie s’est certes instituée comme le point de vue imprenable sur les cendres palestiniennes, il serait absurde de l’enfermer dans le seul horizon des mots. Que le désespoir prenne corps, littéralement, ne peut suffire. C’est pourquoi Mahmoud Darwich refusa toute sa vie d’enfermer la Palestine dans sa seule textualité. Il refusa de la transformer en cimetière poétique : on peut combler l’absence du lieu par le recours à l’Histoire, ou en le déplaçant vers l’horizon mythique qui l’a façonné à bien des égards, reste ce battement plus profond que rien ne peut dépasser.

Aux victimes victorieuses hérissées de têtes nucléaires Mahmoud Darwich a remis sa poésie et cette métaphore qu’est devenue la Palestine : don d’une force universelle, d’une présence humaine nouvelle qui ne peut pas n’être qu’espérée. Il en va de notre commune humanité. La force du poète Mahmoud Darwich aura été de conférer à la Palestine sa légitimité esthétique qui pointait non pas la poésie comme ultime solution, mais l’humain, qui est la terre même de tout récit. Il a fait de la Palestine la métaphore de notre devenir, du devenir du monde, rien moins. Là où nous pouvons nous rejoindre.

 

 

 

La Palestine comme métaphore, de mahmoud Darwich, traduit de l’arabe par Elias Sanbar, et de l’hébreu par Simone Bitton, éd. Actes Sud, coll. Babel, sept. 2002, 188 pages, 7,80 euros, isbn : 978-2742739455.

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