Loupo, de Jacques-Olivier Bosco
Paris, rue Marbeuf. Loupo au saut d’un braquo. Il dort sur des montagnes de billets, comme un gamin sur ses doudous. Un gosse des rues. Gavroche plutôt que d’aujourd’hui. Pas perdu : enfui. Échappé de ces courses folles que les braquos engendrent. Une drogue, les braquos, chez lui. Comme de tirer : une manie, sa signature. Loupo le flingueur. Flanqué de son chauffeur Kangou, la poignée tirée à fond, à plus de 150 sur les maréchaux. Vingt minutes de débine. Grand max. Jusqu’au prochain braquo. Jusqu’à ce jour où une employée lui tendit les billets et son plus beau sourire. Les yeux dans les yeux. Il y est retourné, sans casque, sans lunettes, à découvert avant de faire subitement demi-tour : trop dangereux, l’amour. Plus dangereux qu’un braquage. L’amour, justement, lui est tombé dessus un jour de braquo. Celui d’une mère pour son gosse, qu’elle tient dans ses bras, ensanglanté. Loupo lui a logé une balle en pleine poitrine. A l’arrache, sans le vouloir, sans même avoir vu le gamin planqué derrière une cloison à la con. «Nooon !!!!!...» a crié la mère, tandis que le corps du gamin tombait dans ses bras, épars déjà, abimé, prostré.
Une pietà ! Le roman de Bosco s’ouvre sur une pietà ! Une image forte, culturelle, soignée, qui va conditionner bientôt toute la composition littéraire, l’ordonner, en pétrir la matière tantôt en phrases courtes, tantôt en phrase longues étirées dans le suspens d’une plainte qui reviendra sans cesse. Une image qui va user les mots, les cogner les uns aux autres, sur laquelle ils vont rebondir continuellement. Il a tué un gosse. Devant sa mère. Comment assumer un pareil acte ? Il songe très vite au suicide. Trop facile lui rétorque sa compagne : il faut songer à la mère plutôt. Mourir serait encore faire la loi, non rendre justice à cette femme, suppliciée à présent. La langue du coup devient heurtée, sans cesse dans la reprise anaphorique, sans cesse dans le bégaiement, dans ce retour du réel, de cette image qui troue de part en part le récit, cette pietà qui est une construction infiniment classique, ouvrant l’écriture du genre à ce qu’il n’est pas et lui donnant pour horizon non pas on ne sait quel diagnose qu’il poserait sur les tecis d'aujourd’hui, mais la littérature et ses émotions esthétiques. Le contraignant à jouer de tous les effets de bascule, nouant un pur classicisme littéraire à la détonation de la fonction phatique du langage condamné à se relancer sans cesse sous peine de rester là, planté sur le bord d’un récit qui autrement peinerait à construire sa vraisemblance. Loupo songe donc à se livrer. Mais avant cela, trouver la balance qui a donné leur braquo aux flics. Une vieille histoire pour le coup, qui permet au récit de se reconstruire selon une modalité éprouvé du genre : ces petites phrases courtes, incisives. Suspendant dans le vide cette image de pietà qui hante pourtant le récit et l’étire, le force à revenir sur lui-même et renoncer par moment à ces sacro-saintes petites phrases à court de souffle du roman policier contemporain. Bosco alterne ainsi le style, court, long, entre le coup de revolver si l’on y tient, et le ressassement d’une culpabilité qui ouvre à la nécessité d’une fin rédemptrice. Social ce polar ? Diagnose du mal des cités ? Pas le moins du monde. Il y a bien la curée des bandes aux prises avec leurs vieux fantasmes de puissance, mais avec toujours, en ligne de mire, l’image de cette pietà qui pousse à l’élaboration poétique du récit. Du coup les phrases s’étirent à l’approche du The coup : le braquage d’un avion sur sa piste de décollage ! Dix caisses de poudre d’or, le grand départ pour cessation d’activité criminelle, auquel Loupo ne peut accéder : il lui faut sa rédemption. Mais qui dit rédemption dit mort. Loupo doit mourir pour accéder à sa rédemption. Qui traverse le dernier chapitre comme une incantation, l’attente de l’ultime sacrifice, un retour aussi bien, à la case départ : la vie aurait pu être autre et l'on comprend pourquoi elle ne l'a pas été. Loupo affronte ses propres images meurtrières, dont celle du vieux à l’oreille cassée qui tant l’invita au souper de ses propres cendres.
Loupo, de Jacques-olivier Bosco, éditions Jigal, septembre 2013, 200 pages, 16,80 euros, ISBN 979-10-92016-06-2.
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