Lire, écrire, éditer : porter sans cesse secours au signe émis...
6 Avril 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #LITTERATURE
Prenons les choses autrement encore. Un théâtre parisien, il y a quelques années, a mis en scène les interviews qui constituaient le matériau de l’étude sociologique de Pierre Bourdieu, publiée sous le titre de : La misère du monde. Le dire rassemblé là était à bien des égards fascinant. Mais comment pouvait-il ouvrir aussi bien à l’élaboration scientifique que théâtrale ? Je me suis posé longtemps cette question, à laquelle j’ai cru trouvé pour réponse que c’était parce qu’un petit bruit l’animait. Bégaiements, ratages, reprises incessantes de paroles inaccomplies, maladroites, de mots instables abandonnés non sans difficulté au questionneur. Il y avait quelque chose dans les paroles recueillies, que le discours sociologique ne pouvait maintenir. Quelque chose qui s’était découvert dans ce processus de révélation, mais qu’il n’avait pu absorber dans les formes de sa rhétorique.
C’était un peu cela, m’entretenir avec les Lettres. Lire. Ecrire. Editer. Constructions baroques à la gloire d’un Autre que l’on ne sait jamais trop comment saisir et que les Lettres ne parviennent jamais à subsumer sous leur belle arrogance.
Les journées qui ont suivie, un livre de Dosto en main, Blanchot et quelques autres, je me suis demandé à quelle connaissance il me fallait rapporter cette parole tout de même confuse -le bruit que cela fait avec les bouches, le léger sifflement de la courbure des temps, l’humain empêtré dans son impossibilité à dire quoi que ce soit qui résiste à son incertitude… Et de raboter ici un grain trop rugueux et d’égaliser là : porter sans cesse secours au signe émis...
J’ai appris à raisonner pour me sortir de l’épouvante où vous plonge le spectacle littéraire, pariant sur le dévoilement d’une sorte de "bon endroit" du récit où nous nous retrouverions. Peut-être. Mais à vrai dire, nous ne parvenons jamais à savoir quelle mesure prendre –où nous retrouver. C’est peut-être au fond le plus heureux, cette constance des Lettres dans leur défaite, le flux incessant d’un verbe qui oblige à reprendre, sans cesse, sans parvenir jamais –à quoi donc, du reste ?
(Mais ne doutons pas un seul instant que tout cela n’appartienne déjà, ces signes que je relève, le balbutiement de ma pensée, toutes ces petites assurances contractées à la sauvette, à leur monde, même si je ne sais où raconter, d’avoir si longtemps cru que l’on pouvait penser sans dommage la littérature).
Qu’il faille porter sans cesse secours au signe émis, voilà le seul endroit. --joël jégouzo--.
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