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La Dimension du sens que nous sommes

LILY ET BRAINE, DE CHRISTIAN GAILLY -rentrée littéraire de janvier 2010.

5 Février 2010 , Rédigé par du texte au texte Publié dans #en lisant - en relisant

lily-et-braine.jpgBraine revient de guerre.
Celle du Vietnam.
Après un long séjour en hôpital.
Mutique tout d’abord, et comme étranger au roman.
Braine ne se connaît plus.
Ce sont les autres qui tiennent le compte de ce qu’il était, de ce qu’il doit être, de ce qu’il pourrait être.
Les autres qui veulent restaurer son identité.
Chacun selon son idée.
Tandis que Braine, laborieusement, reconstruit son corps, ses pensées, sa parole.
Il lui faut réapprendre.
A se déplacer.
A penser dans l’univers décousu qui s’offre d’abord à lui.
Improviser son être dans la succession des événements qui tentent de l'emmailloter au coeur d'une trame serrée, sa femme, son fils, son beau-père le réinstallant dans l’atelier de mécanique, et bientôt cette blonde en tailleur dont la voiture est tombée en panne à deux pas de sa porte. Que veut-elle ? Elle veut Braine. Pas simplement pour amant : Braine jouait du bugle naguère. Elle veut remonter son quintet. Lancer une boîte. Dans une grange, jazz session à la Charly Parker. L’atmosphère des States dans les années 50. Celle des meilleurs Eastwood, alanguie et quelque peu lasse. Des images, Coltrane, Sonny Rollins. Une fille à Mobylette, Lily de nouveau enceinte tandis que Rose Braxton, la blonde en tailleur, ouvre ses draps à Braine. Une romance. La composition narrative s’en remplit, les scènes se succèdent. Oui : on dirait une scène de film. Ici ou là. Braine, du reste, parle comme au cinéma. « Je ne vois pas de différence, dit-il, avec ou sans caméra, c'est une scène, une scène dialoguée ». Des scènes que bercent le délicat Que reste-t-il de nos amours? de Trenet, ou quelques pièces de jazz. Un rythme, une musique aux allures très populaires dirait-on, s’accomplissant en digressions élémentaires : on ne peut fabriquer l’amour sous une bagnole qui pisse l’huile. Une romance de ce genre, Braine, incapable d’aimer, succombant aux charmes des femmes -ici l’une, là d’autres encore. Qu’est-ce qui pourrait mettre un terme à un tel système narratif ? Lily. Qui pousse l’histoire vers sa fin. Tragique, certes. La vie est parfois comme ça. Sans réelle noirceur toutefois, Marguerite Duras en exergue et la discrétion du narrateur -observateur au pessimisme badin-, pour tenir à bonne distance les ratés du retour. Le talent en somme, propre à la chose littéraire quand elle est aboutie. Tout en retrait pourtant, portant comme un stigmate la fêlure de l’image littéraire, trop fabriquée souvent pour ne pas dévoiler sa différence : une scène écrite n’est pas une scène jouée… A la grossièreté de l’homme soûl convoqué dans la trame romanesque, il manque la grossièreté. Le texte a soustrait la chair. L’écriture s’est trop souciée d’elle-même et elle ne parvient pas à rivaliser avec le toucher d’un cinéma exhibant, à son corps défendant, la chair bancale du monde. La manière l’emporterait ainsi de trop, sans que l’on en soit vraiment certain au demeurant, car reste le plaisir du texte -comme aurait dit ce cher Barthes.
joël jégouzo--.

Lily et Braine, de Christian Gailly, éditions de Minuit, janvier 2010, 192p., 14,50 euros, ISBN : 9782707320902.
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