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La Dimension du sens que nous sommes

Les sentiers de l’utopie, militants d’un autre monde

11 Décembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

 

aeroport.jpg"Nous avons réussi !", s’exclamaient au petit jour les militants d’Heathrow.

L’avenir est trop sombre. Nous avons besoin de construire, tout de suite, des modèles de sociétés anti-autoritaires et résilientes face aux crises à répétition artificiellement entretenues dans les sociétés néolibérales pour étouffer dans l’œuf toutes nos espérances.

Sur les routes européennes, Isabelle Fremeaux et John Jordan sont partis à la rencontre de ceux qui ont choisi de ne plus attendre et de vivre l’espérance. De ceux qui ont choisi de vivre leur utopie ou très simplement, une autre manière de penser, de manger, d’apprendre, d’aimer, de produire, d’échanger, de lutter.

Mines occupées en Serbie, villages rachetées dans la Drôme, partout des communautés se sont réinstallées pour refaire le monde et faire du monde contemporain un champ d’expérimentation concrète.

L’avenir est trop sombre. Nous avons besoin de réussir ici, maintenant, d’autres gestes, d’autres paroles, d’autres rencontres.

Londres. Aéroport international d’Heathrow. Les autorités britanniques ont décidé de raser des villages, des hameaux, des écoles, d’investir les champs, les bois, les collines pour tracer leurs pistes d’atterrissage géantes.

sentiers.jpgUne poignée de militants ont décidé d’investir les lieux pour y dresser un camp temporaire. L’info a percé jusqu’aux oreilles de la police bien évidemment. Qui est sur les dents. Un camp doit donc être dressé, dans la nuit, et pour dix jours. Un éco-village autogéré. Plusieurs milliers de personnes sont attendues. Pendant dix jours, il sera transformé en lieu de formation, de fête, de débats. Un autre monde est possible. Nous pouvons désobéir. Refuser leur monde. Trois personnes seulement savent exactement où ce camp sera monté. La police enquête, fouine, sans succès. Cent cinquante autres militants attendent l’info. Ils forment le "groupe terrain" et sont prêts à investir les lieux à partir de dix endroits différents. Ils attendent le signal et la localisation du lieu, qui leur sera envoyé par sms. Des camions attendent également loin d’Heatrow, leurs soutes pleines des chapiteaux qu’il faudra monter en un temps record, des cuisines, des sanitaires, des centaines de tentes qui vont recouvrir tout l’espace proposé à la destruction . Et chacun des cent cinquante militants du groupe terrain a en charge de prévenir des dizaines d’autres activistes disséminés dans Londres. Ceux-là sont regroupés par paires. Beaucoup patientent dans le métro. Chaque trajet est différent, les consignes sont claires : il faut partir dans la mauvaise direction, prendre la mauvais quai, monter au dernier moment dans la bonne rame. La police est sur les dents, partout, mais partout elle ne sait où donner de la tête. Des centaines d’activistes marchent déjà. L’opération Singe rugissant est déclenchée. Les barnums sont déchargés. La police reste sur les dents. Elle est partie dans la mauvaise direction dans une belle pagaille, tandis que les militants du groupe terrain montent déjà les chapiteaux. A l’aube, tout est en place. L’équipe média au centre, qui expédie déjà ses communiqués à la presse mondiale. Trois immenses chapiteaux sont en place, les cuisines fonctionnent, bientôt des centaines de tentes se dressent. Les militants d’Heathrow ont quatre objectifs : démontrer que l’empreinte écologique d’un tel camp est dérisoire, se former théoriquement et pratiquement, construire un mouvement radical pour la justice climatique. Un système de quartiers forme la structure du camp. Au centre de chaque quartier, une cuisine, des sanitaires. Ils vont tenir leur pari et dix jours durant, sous les yeux de la police médusée, ils vont argumenter sur cet autre monde que nous pouvons construire.

pays_extramadur.jpgAilleurs, des collectifs rachètent des terres cultivables, mettent en culture des champs, des potagers autogérés, comme à Vitry-sur-Seine, au beau milieu du parc régional. C’est possible. Les utopies ont beau avoir été refoulées dans un monde invisible, elles existent et se développent, ici et maintenant. Partout ces pratiques se démultiplient. Partout on tente de repenser un nouvel ordre mondial. La sécurité ? On la repense ici dans un cadre coopératif. Isabelle Fremeaux et John Jordan ont suivi ces groupes, ces militants d’un autre monde, et nous donnent au passage pour feuille de route de relire l’histoire de la Révolution espagnole de 1936 - 1939, une révolution sociale sans équivalent dans l’histoire contemporaine, brutalement interrompue par les chars et les avions d’une réaction abjecte. Des milliers de villes, de villages, des millions d’espagnols gouvernés par des assemblées réellement populaires. Des grande surfaces agricoles, des pans entiers de l’industrie administrés en autogestion. L’anarchie, ce formidable mouvement populaire gérant alors la vie de millions d’espagnols qui avaient trouvé la force de se gouverner eux-mêmes. Une force enracinée dans une culture réellement populaire, parachevée par trois générations d’éducation et de construction d’un mouvement populaire de libération. Pour des millions de paysans, ce n’était pas une chimère utopiste mais une réalité de leur vie. La mémoire vivante des traditions du village, une longue histoire d’autogestion des communautés rurales, magnifique brèche dans l’histoire du monde contemporain.

Nous avons besoin de croire, d’espérer un autre monde, avant que le leur ne nous engloutisse pour nous digérer sauvagement.

  

 

Les sentiers de l'utopie, John Jordan, Isabelle Fremeaux, éd. La Découverte, décembre 2012, nouvelle édition, coll. Poches, essais, 387 pages, 13 euros, ISBN-13: 978-2707152183.

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