Les rêveries de Gaston Bachelard
21 Janvier 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais
Bar-sur-Aude, un petit village de Champagne, pays de vallons et de collines, l’immensité intime sillonnée de ruisseaux. Le Vallage, dans la langue du pays, poinçonné des hachures bleutées que font les martin pêcheurs dans le ciel. Une histoire de gamins. Ça commence comme ça, la vie de Gaston : dans l’échappée des écoles buissonnières. Gaston, le fils du dépositaire de journaux, commis des postes et des télécommunications. Rien ne le retient plus que le feu devant la cheminée de ses parents. Gaston ne cesse de lui prodiguer ses soins. Il sait, mieux que personne, le rouge des braises qui convient pour rallumer la flamme. Et s’interroge déjà : qu’est-ce donc qui me retient dans le spectacle du feu ? Gaston poursuit sa route la journée achevée, jusqu’à la maison basse de sa grand-mère, attentif à ses gestes, toujours les mêmes quand elle prépare les gaufres. Le grésillement de la pâte, et puis le feu, encore et toujours. A peine plus loin dans le village, plus tard, sa femme, institutrice. A deux jours de son mariage, une lettre qu’on lui tend : nous sommes en 1914, Gaston doit partir pour le front, s’enterrer vif dans les tranchées de la Marne. Il a trente ans. Il écrit à sa femme qu’il voit au front le feu comme jamais il ne l’avait envisagé. "Celui qui pétrifie. Qu’on se jette à la figure et qui brûle tout". Une bombe explose, tue son ami d’enfance. Partout autour de lui la terre est éventrée, les camarades brûlent tandis que Gaston rampe au fond d’un trou. Le sentiment originel du feu se macule de l’horreur qui éclate soudain. Gaston étudiera le feu. Il s’en fait la promesse, là, dans les tranchées de la Marne. Il en fera une science. Une physique, dans son laboratoire du collège où il enseigne bientôt. La chaleur est un objet pour le savant, et peut-être cela le rassure-t-il de la tenir dans cette distance mathématique. Mesurer est une opération inflexible. Une science intraitable. Mais il voit bien que le feu est autre chose encore. Gaston qui aimait tant le feu n’a guère de goût pour la lumière administrée. Alors voici que tout revient, et qu’il n’aime plus guère administrer la lumière dans l’objectivité intraitable de sa discipline. Il a analysé le feu comme un objet de science, désormais le sensible le retient, le sensuel. "lI faut être poète pour dire le singulier des flammes". Gaston va s’y employer le reste de sa vie. Superbe moment de philosophie destinée à la méditation des enfants des écoles. Superbe enseignement qui leur est offert, dans la lecture insistante que le livre ébauche et à laquelle il contraint heureusement les adultes, dans l’accompagnement nécessaire des questions auxquelles il ouvre.
Les rêveries de Gaston Bachelard, texte de Jean-Philippe Pierron, illustration de Yann Kebbi, Les petits Platons éditeur, décembre 2012, 63 pages, 14 euros, ISBN-13: 978-2361650278.
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