LES RACINES COLONIALES DES PARADIS FISCAUX…
Hors des frontières formelles du Droit, des puissances se sont constituées avec la complicité de décideurs de la Chose pourtant Publique. Une souveraineté offshore où des juridictions politiques furent taillées sur mesure pour accueillir la moitié du stock mondial des devises, ne constituant ainsi certainement pas cet ailleurs de la finance internationale auquel l’on voudrait nous faire accroire. Il n’y a du reste pas d’économie parallèle, martèle Alain Deneault dans son essai. Nous devons absolument cesser d’analyser les paradis fiscaux en termes d’évasion fiscale : ils sont nos économies réelles, qui mettent à mal le financement des Institutions Publiques et nos marchés commerciaux. Ils sont l’ordre normal de marche d’une Finance mondiale qui dépouille jour après jour les notions de Bien Public et de Bien Commun de leurs fondements républicains. Et ils sont le fruit d’une histoire peu reluisante mais fort ancienne : celle des mécanismes financiers de production d’avoirs fictifs qui, depuis le XIVème siècle florentin, ont construit des moyens efficaces pour échapper à tout contrôle politique démocratique.
C’est du coup un regard neuf qu’Alain Deneault nous invite à poser sur ces paradis qui défraient faussement la chronique et voient nos dirigeants pousser de temps à autres leurs cris d’orfraie avant de refermer cet épineux dossier sur une irrésolution éprouvée. Un regard qui invite à reconsidérer ce modèle de confiscation politique à la lumière d’un éclairage peu mis en perspective dans ce cadre : celui de la colonisation.
Deux exemples particulièrement éclairants illustrent bien le propos. Celui du Congo Belge tout d’abord, où, au lendemain de la Conférence de Berlin, Léopold II décida de fonder une colonie personnelle, en son nom propre et non celui de la Belgique, créant de fait une souveraineté privée au mépris du Droit des Peuples, le prototype même du paradis fiscal contemporain. Sur son territoire –un espace théoriquement politique mais dédié désormais exclusivement au commerce-, tout devint permis : sévices, massacres, servage et ce jusqu’en 1908, date à laquelle le récit des exactions commises se fit jour en Europe, obligeant la Belgique à reprendre officiellement la colonie à son compte.
Alain Deneault est, sur cet exemple, d’une clarté édifiante. Rien n’est laissé dans l’ombre, des lectures bréviaires de Léopold II (James William Bayley Money : Java, or how to manage a Colony), à sa fascination pour l’explorateur vedette du Congo, Stanley, qui faisait signer aux chefs locaux des contrats d’abdication sur leurs propres terres, obtenus par la force quand la ruse n’y suffisait pas. Dans les salons, bien évidemment, ces factices transferts de souveraineté légitimaient à eux seuls l’appropriation d’un pays par les Blancs, qui créèrent de l’offshore à tout va : les intérêts d’exploitation demeuraient strictement privés. Léopold II confia ainsi le commerce du Congo à des entreprises signataires de chartes, tandis qu’il en restait l’actionnaire le plus important à titre privé…
Le second exemple est celui de l’Allemagne, avec l’Empereur Guillaume II confiant l’exploitation des côtes africaines à une société privée de gestion : la Deutsche Ost-Afrika Gesellschaft. Il ira jusqu’à offrir à des entreprises privées la "conquête" de l’Afrique, transformant de fait l’espace public en paradis commercial.
Mais aujourd’hui, captifs d’un vocabulaire perverti pour masquer des souverainetés de complaisance qui trouvent leurs assises en Europe et en Amérique du Nord, à vouloir toujours penser ces juridictions hors la loi comme lointaines, nous nous lions pieds et poings à de vagues discours nous interdisant d’en penser l’histoire.--joël jégouzo--.
Paradis fiscaux et souveraineté criminelle, Alain Deneault, La Fabrique éditions, avril 2010, 170 pages, 14 euros, ISBN-13: 978-2358720083.
Java : or, How to Manage a Colony, Volume I, James William Bayley Money, BiblioBazaar, december 8, 2008, 358 pages, 25 dollars, Language : English, ISBN-13: 978-0559875304.