LES POETES ET LA GUERRE D’ALGERIE
16 Décembre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #poésie
Une anthologie. Poètes français en guerre contre la sale Guerre, d’Aragon à Seghers, amis de Maurice Audin lui rendant hommage, poètes algériens enfin, de Djammel Amrani à Malek Haddad, écrivant en français ou en arabe.
Une parole combattante, douloureuse bien sûr, courageuse. Une parole où l’on voit peu à peu émerger non la justification de se tenir auprès des hommes souffrants, ni celle de renouer avec la vieille tradition de révolte qui encombre par trop la poésie éprise, toujours nécessairement, de liberté, mais une poésie achoppant, se heurtant au problème de la vie même, en ce lieu unique où le Verbe s’écrit.
Bien sûr, cette poésie de genre encore, celui de la résistance, page écolière de notre histoire littéraire, celui d’une poésie qui voulait changer le monde, entretenant une ferveur nécessaire, celle des poètes inscrits dans l’action politique, des années militantes étanchées de l’espoir d’un monde autre égrené à longueur de vers, émouvante, forte sans doute mais égarée aujourd’hui en réconfort factice où puiser sans y croire la force d’être au monde… C’est que… Traiter poétiquement un événement n’est plus chose facile désormais.
Il y a donc cette poésie militante dont on ne sait que faire, sinon la donner à apprendre aux petites classes des écoles, où affirmer péremptoirement que le sacrifice n’est pas vain, même si la mort n’est pas chose si simple. Il y a cette poésie dont on veut croire qu’elle nous fera survivre là où toute liberté ne survit plus, celle des Fusillés de Châteaubriant ou plus sûrement encore celle des Romancero espagnol, de poudre plutôt que d’encre, ou cette infra-littérature travaillant au corps l’organisation formelle du poème pour arracher à la littérature son impuissance à rendre compte de l’organisation du réel et qui seule parvient à répondre, pied à pied, à l’assertion de Barthes selon laquelle on ne peut travailler un cri sans que le message ne porte davantage sur le travail que sur le cri…
Les espagnols de 36 donc et leur romance, et puis ici dans cette récollection, la poésie algérienne chargée d’autre chose à son corps défendant, qui doit, en même temps qu’elle s’énonce, inventer la langue dans laquelle s’énoncer. Kateb Yacine tout à son propre défrichement. Ou cette poésie populaire arabe explorant son histoire, ou bien encore ce travail d’écriture conçu comme l’épreuve d’une vie, celle de Jean Sénac dédiant «à l’enfant captif des chevaux de frise» sa difficulté à sommer le monde de cet ailleurs qu’on lui refuse, nous alertant sans cesse, nous qui ne faisons que rêver un autre monde que la terrible nuit spacieuse offusque. Un monde dont Sénac a bien vu qu’il ne pouvait égaler la ronce nourrie de sang qui nous enferme et nous leurre. Cette poésie justement, qui connaît le poids du chant, le prix du poème, la tiédeur d’une clairière, un mot de paix. Sans cesser de garder à l’esprit que le poème est rôdeur, qu’il intrigue la langue, la vie pétrie de son ombre, et qu’il faut se faire voyant pour apporter à autrui le blé «matinal arraché à l’obscure demeure des hommes».
Les poètes et la Guerre d’Algérie, Biennale Internationale des Poètes en Val de Marne, coll. Ecrire l’événement, sep. 2012, 171 pages, 12 euros, isbn 13 : 9782954262000.
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