Les enfants du Rwanda, Angelique Umugwaneza
Angelique avait 13 ans lorsqu’elle a dû fuir le Rwanda aux côtés de sa mère, le 18 août 1994, très exactement à 5 heures du matin, à pieds vers la frontière du Zaïre, distante de 150 kms. Il fallait fuir, vite : les forces françaises de l’opération turquoise allaient plier bagage, livrant les populations civiles à leur massacre annoncé. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que cette fuite durerait 7 ans. De camp de réfugiés en camp de réfugiés, certains sous protection de l’ONU, d’autres non. Sept longues années d’un calvaire qu’elle décrit dans ce témoignage saisissant sans rien rajouter aux faits. Angelique était hutue. Elle vivait jusque-là dans la région de Gikougoro, une région de paysans relativement aisés, où tutsis et hutus vivaient en bonne intelligence. De treize à vingt ans, elle ne connaîtra que la terreur, les massacres, la fuite, la famine, la misère. Rappelez-vous : avril 94, l‘avion du président rwandais était abattu. Par qui, on ne le saura jamais. La France diligentera bien une enquête, le Rwanda une autre, jamais l’ONU ni aucune instance internationale ne prendra la peine de mener une recherche approfondie sur cet événement, si important pour l’Afrique contemporaine. La suite, nous la connaissons : plus d’un millions de rwandais seront massacrés en quelques mois, et tout autant en RDC. Car en 96-97, la RDC se verra envahi par les troupes rwandaises qui ne cesseront de s’en prendre aux camps de réfugiés pour les massacrer. Par vengeance. L’ONU a bien mis en place un tribunal pour juger les crimes de génocide au Rwanda, mais pas les massacres des réfugiés huttus en RDC, bien que reconnus à leur tour comme génocide. Et cela, bien que les pays occidentaux, la France en tête, aient créé les conditions économiques, politiques, culturelles de ces tragédies…
Angelique raconte donc, le meurtre de tous les tutsis de sa région d’enfance, les tortures, les barrages sur les routes du jour au lendemain, tenus par des hommes armés de machettes. La terreur. Elle raconte l’arrivée des troupes françaises, l’amélioration qui s’en suivit, et leur départ précipité, la confusion de nouveau, de nouveau la terreur des populations livrées à la haine. L’ambiance qu’elle décrit est celle d’une panique gigantesque, à l’échelle d’un pays. Il faut marcher jour et nuit, traverser la grande forêt de Nyungwe, établir des camps de fortune. Ils sont 50 à fuir ensemble, en route vers quelque chose de très sauvage qui les apeure nuit et jour. Partout ils croisent d’autres réfugiés hagards, qui ne savent où aller : les rumeurs se contredisent, aucune destination n’est sûre. Tout le monde marche, dans toutes les directions. Angelique raconte la fatigue, la faim, l’épuisement, les soldats zaïrois livrés à eux-mêmes qui détroussent aux frontières les réfugiés, les dépouillent de tous leurs maigres biens. Et puis les camps, régulièrement pillés malgré la protection de l’ONU. Les violences sont telles qu’elles obligent ces populations martyrisées à cheminer d’un camp l’autre en quête d’un meilleur refuge. Il ne s’agit pourtant que de survivre. Elle raconte cette survie dans les camps, où les réfugiés s’installent pour des années dans la précarité. Le camp de Kabila en particulier, tenu par le HCR. Des milliers d’indigents qui tentent de reconstituer une vie sociale sous la pression rwandaise constante, qui réclame la fermeture de ces camps et le retour des hutus au Rwanda, où les tutsis attendent leur revanche. Elle raconte les conditions de cette survie, tandis que le monde détourne les yeux. Angelique a choisi in fine de demander l’asile à un pays du nord de l’Europe. Elle y a repris ses études, accompli un cycle supérieur entier dans les sciences politiques, pour tenter de comprendre. De comprendre comment il est possible à de simples citoyens de n’être plus les jouets de leurs dirigeants. Comment de simples citoyens pourraient poser des exigences enfin démocratiques, et ce que signifient exactement les droits inaliénables des individus, dans un monde pareillement indifférent.
Les enfants du Rwanda, Angelique Umugwaneza, Peter Fuglsang, traduit du danois par Inès Jorgensen, éd. Gaïa, coll. Gaïa Littérature, février 2014, 345 pages, 22 euros, EAN : 978-2847203714.