Les chants d’espoir ne meurent jamais… (Aux Indiens de la Plage)
Lagos, au sud du Portugal. L’Algarve en 1974, alors que la Révolution des œillets bat son plein. Pendant deux ans, elle va bousculer le vieux monde, notre vieux monde, inventer de nouvelles pratiques de lutte, des raisons d’espérer et des modes nouveau de vie, avant que la classe politique ne se reforme pour confisquer de nouveau la démocratie, comme elle l’a toujours fait, partout, en tous temps, désespérant ces classes modestes si inventives toujours, en tous temps elles aussi.
Lagos en 1974 donc, n’est pas encore cette ville touristique que l’on connaît aujourd’hui, envahit par des classes moyennes riches moins citoyennes que consommatrices, qui finissent toujours par livrer aux spéculations immobilières les espaces qu’elles idolâtrent.
A l’époque, la plage de Lagos est occupée par un bidonville. Toute une population de pêcheurs pauvres est venue se réfugier là, pour y vivre. Des pêcheurs qui nourrissent la région et engraissent les grossistes des halles de Lagos. Ils sont angolais, algériens, marocains, portugais, tunisiens. Ils ont bâti un village de tôles et de cartons que la dictature de Salazar tolère parce qu’ils font vivre la région et par leur pêche, enrichissent la ville.
Mais en 1974, la dictature est renversée. Un architecte militant, José Veloso, décide alors que la Révolution doit mettre fin au scandale du bidonville des pêcheurs de Lagos. Il va à leur rencontre pour proposer son aide, habité par un rêve fou : construire en dur sur la plage, un quartier dont ils seraient propriétaires. Les pêcheurs sont pauvres. Très. Ils n’ont pas un centime devant eux, le terrain ne leur appartient pas, et pourtant, ce rêve va se réaliser.
Veloso découvre sur place la réalité de leur vie. Terrible : sans eau courante, sans électricité, sans équipements. Rien. Pendant plus de deux générations. Ou plutôt, ce qu’il découvre, ce sont des hommes courageux qui ont su faire face à des conditions de vie dégradantes. Ces Indiens de la Plage, comme on les appelait alors, se sont organisés. Ils ont construit une salle commune, mis en place une hygiène collective, collectant par exemple leurs ordures ménagères. Ils ont créé un dispensaire, une école, une protection civile, élus des représentants, une équipe de foot a même surgi qui porte fièrement les couleurs des Indiens. Ils ont pris soin les uns des autres, se sont entraidés, ont inventé des systèmes de garde des enfants, fondé une caisse mutualiste pour faire face aux coups durs que la mer dispense. C’est cette solidarité effective qui va convaincre Veloso qu’un grand projet est possible. Il contacte un documentariste et José Afonso, le plus célèbre chanteur de fado de l’époque, très engagé dans les luttes d’émancipation. Ensemble ils vont collecter de l’agent, initier une solidarité régionale. Les pêcheurs vont créer une structure de financement dont ils seront les décisionnaires, racheter le terrain, le découper en parcelles égales, recruter quelques maçons professionnels et avec leurs familles, nuit et jour ils vont édifier ce quartier qui a survécu jusqu’à aujourd’hui.
C’est tout cet effort et cet élan que le documentaire retrace. Superbement. Le film n’existe pas en version française. C’est dommage : l’expérience est belle.
On peut changer le monde.
C’est cette espérance que je me plais à porter pour cette rentrée de septembre.
Je n’ai pu revoir Veloso cette année, alors que je séjournais au Portugal. Il sort d’un douloureux chagrin, dont le deuil lui a pris des années : la mort de sa femme, suivie de celle de sa fille. Aujourd’hui, son beau-fils poursuit son combat au sein de la municipalité de droite de Lagos, qui voudrait raser le quartier des pêcheurs pour y bâtir des hôtels à touristes.
La lutte continue. Toujours.
Continuar a Viver ou OS INDIOS DA MEIA PRAIA de Antonio da Cunha Teles, 1976.
Costa do Castelo Filmes. SA, Av. Eng. Arantes e Oliveira, 11 - 1º A, 1900221- Lisboa, Portugal. 110mn.
http://pt.wikipedia.org/wiki/Jos%C3%A9_Afonso