Le Tournant postcolonial : l’indigénisation de la modernité…
Les politiques (Gauche-Droite) n’ont vu dans la poussée des identités périphériques, en France, que l’expression d’un néo-communautarisme dangereux, au moment où les références nationales déclinaient. Du coup, ils ont ressorti de leur chapeau le vieux schéma républicain pour affronter un prétendu déclin. Il n’est pas même jusqu’aux intellectuels qui ne se soient enrôlés à leurs côtés pour sauver on ne sait trop quelle patrie en danger… Voire la sociologie, l’égérie de la République –d’une certaine idée républicaine du moins-, qui marqua son mépris à l’égard des manifestations populaires les plus aventureuses, tant à ses yeux le peuple n’est acceptable que momifié dans l’ordre d’un social épuré de toute condition de pluralité.
Dans le même temps, les Cultural Studies connaissaient en France de sérieuses dérives, l’expérience de l’Autre s’y voyant privée de son altérité. On escamota Homi Bhabha, qui proposait pourtant une conception de la différence culturelle radicalement nouvelle, car questionnant d’abord l’ambivalence des autorités culturelles qui décidaient des différences acceptables. Bhabha avait beau démontrer qu’il n’y a de culture que traversée par des discours mêlés, hétérogènes, voire, et d’une façon souhaitable encore, contradictoires, rien n’y fit : en France, toute culture n’était recevable que nationale, ou à la limite, nationalisable à brève échéance…
Mais toute culture est toujours transnationale. Depuis une bonne vingtaine d’années, l’occasion avait été offerte à la France de le comprendre, et de s’enrichir de l’apport des cultures diasporiques qui la traversaient, lesquelles auraient permis de mettre à jour les phénomènes d’hybridation ou de créolisation à l’œuvre dans toute culture (voir les travaux d’Arjun Appadurai, dont Après le colonialisme ).
Les Subaltern studies, courant né en Inde, furent évidemment ignorées dans ce contexte, alors même qu’elles proposaient des modèles autorisant de donner voix aux exclus du récit de la décolonisation –et en France, ces exclus étaient légions, des rapatriés d’Indochine aux enfants des immigrés algériens, entre autres.
Rien n’y faisait donc : une chape verrouillait la nasse française, imperméable aux concepts les plus prometteurs, comme celui d’indigénisation de la modernité (Marshall Sahlins), démontrant cette fois que les différences elles-mêmes étaient nécessairement transnationales.
On assista donc, médusé, au retour des mémoires oubliées, des résistances cachées. Elles débordèrent allègrement les cadres usuels, mordant sur l’espace public en autant de récits que l’on comptait de mémoires escamotées. Une mémoire plurielle de la France se fit brusquement jour. Qui dût bientôt affronter une vraie régression nationale pour le coup : l’immigration offerte au peuple français en victime expiatoire. On en fit de fait l’axe commode des malentendus de l’Histoire nationale, jusqu’à inaugurer, en 2007, un Ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ! Véritable expression pathologique d’une politique revancharde, proposant de rallier les nauséabondes frontières idéologiques entre le national et l’étranger, comme si le FN avait finit par l’emporter, symboliquement.—joël jégouzo--.
Après le colonialisme , Les conséquences culturelles, Arjun Appadurai, éd. Payot, Petitte Bibliothèque Payot, n°560, juin 2005, isbn 13 : 978-2228900001.
L’histoire coloniale sous le regard des dominés: l’école indienne des Subaltern Studies :
http://clioweb.free.fr/colloques/colonisation/subalt.htm
Selected Sbaltern Studies, sous la direction de Ranajit Guha et Gayatri Chakrayorty Spivak, Oxford University Press Inc, oct. 1989, 448 pages, 34,11 euros, ISBN-13: 978-0195052893.
La nature humaine , Une illusion occidentale, de Marshall Sahlins, éd. De l’Eclat, avril 2009, coll. Terra Incognita, 144pages, ISBN 2841621847.
Ruptures postcoloniales : Les nouveaux visages de la société française, collectif, Nicolas Bancel, Florence Bernault, Pascal Blanchard, Ahmed Boubeker, Editions La Découverte, Collection : La Découverte Langue, mai 2010, 538 pages, 26 euros, ISBN-13: 978-2707156891.