LE GRAIN DE LA VOIX…
15 Mai 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais
Maden Dolar, philosophe, psychanalyste, fondateur de l’école de Lubljana, dont est issu Slavoj Žižek, spécialiste de Hegel et de psychanalyse, de musique, de cinéma, s’est intéressé dans son dernier essai aux métaphores de la Voix, telles qu’elles ont irriguées et irriguent encore nos sociétés occidentales.
A la voix du psychanalyste en tout premier lieu, silencieuse, aphone, qui ne dit rien et ne peut être dite, mais qui résonne comme un appel à répondre. A la voix qui sourd sous la parole, interpellation ratée souvent, autrui ne sachant jamais entendre complètement son adresse. Ou bien n’écoutant dans son grain qu’un autre son auquel je n’aurais pas pris garde et prenant à son esthétique une part inopportune. Mais écoutant peut-être ce qui seul importe, cette source que le sens abuse et qui ne se dissout jamais vraiment dans le sens que la voix est supposée se contenter de porter. Jamais neutre, la voix. Jamais blanche. Jamais clos sur lui-même, ce sens, ouvert à tous les vents par le grain de cette voix dont on ne sait trop dans quel être elle persiste.
Maden Dolar médite sur ce grain de la voix, une perturbation, commente-t-il, où s’origine le travail de l’analyste plus que celui du philosophe, mais que ce dernier ne tarde bientôt pas à rejoindre pour tenter une théorie, une théorie de la Voix, improbable et cependant incontournable, quand cette voix ne s’offre aussi à l’esprit que sous les espèces d’une perturbation de la pensée, de celle qu’un Walter Benjamin avait naguère ressentie, ainsi que Giorgio Agamben s’en étonna : "la recherche de la voix dans le langage, c’est cela la pensée ?"
Où donc la Voix s’effectuerait-elle ? En quel lieu de sens hors de la pensée ? Qu’est-ce qui la distinguerait des autres sons au demeurant, réfléchit Maden Dolar ? Son rapport au sens ? Mais tout ne fait-il pas sens dans la voix, y compris son grain ? La voix n’est-elle pas profondément récalcitrante à sa dissolution dans le sens ? Quel serait alors le sens de cette résistance ? Rendant l’énoncé possible, la voix ne s’y dissout jamais. Or, elle ne devrait en toute logique pas concourir à l’effet de signification, au risque de rendre cette signification plus obscure qu’elle ne l’est déjà bien souvent. Ça rate si souvent, parler. Est-ce faute d’un excès de langage ou bien faute de sens ? Et puis d’abord, le signifiant ne devrait-il pas posséder sa logique propre et ne découler que de cette seule logique ?
Mais qui osera ici affirmer que la science du langage est parvenue à se débarrasser de la Voix ? Que la charge dévolue par elle à la phonétique est une réussite ? Le phonème, dépourvu de substance, réductible à sa seule forme, quasi mathématique, survit-il longtemps à sa profération ? N’avoue-t-il pas, ou ne laisse-t-il pas échapper, sitôt éructé, tout un bazar de surplus qui vient en brouiller la logique ? La linguistique elle-même, n’a-t-elle pas fini par l’admettre, qui a voulu ensuite codifier ce surplus : la prosodie, l’intonation, la mélodie, comme s’il était possible de crypter la Voix et de la faire entrer dans la mathématique d’un système clos… Que le signifiant n’ait besoin de la Voix que comme support, nous en conviendrons tous. Mais convenez que cette opération ne cesse de produire des restes et des excédents : le timbre, l’accent, l’ironie, la détresse, toutes ces nuances qui ont gagné le registre linguistique sans parvenir à rabattre la voix sur ses seuls énoncés linguistiques…
Dolar, Une voix et rien d’autre, traduit de l’anglais par Christine vivier, éd. Nous, coll. Antiphilosophique, mars 2012, 270 pages, 22 euros, ean : 9782913549647.
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