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15 mai 2013 3 15 /05 /mai /2013 06:26

 

gout-rugby.jpgAu Commencement était l’Ovalie.

Il y a le sport, et puis il y a le rugby. Son ballon à deux bouts et l’épopée de l’avoir si bien porté sous la clameur de ses espaces mythiques -l’Arm’s Park, Landsdowne Road-, contre la boue et le vent et jusque dans la rage des poussées historiques.

J’aime Denis Lalanne racontant un soir de 1953 l’invention du mot d’Ovalie. L’Ovalie ? Tout sauf une part de marché. L’ultime lieu de résistance, affirme-t-il. "Un terrain de rugby, c’est l’instant essentiel", le vertige de l’assaut à deux pas de la ligne et puis ce geste de la passe en retrait pour avancer, quand on y songe ! "Rien de comparable au football, épure sans profondeur pour automates bien huilés", commente Raymond Abelio.

C’est qu’il faut du génie pour pratiquer le rugby, mais aussi du courage et de la générosité pour un effort qui doit être à chaque seconde pensé, senti, vécu.

De tous les témoignages engrangés dans ce livre, j’aime particulièrement celui de Raymond Abelio décrivant la géographie sacrée du rugby, telle qu’elle a survécu malgré ce territoire en peau de léopard qu’on lui connaît désormais, ses villes radiées d’une épopée qui fut la leur. J’aime Abelio retenant son souffle pour décrire ces phases statiques du jeu, ces moments de suspens où les demis ont arrêté le temps, le public contenu dans une fraction de seconde, tendu, dressé, étourdi par le sens profond de cette immobilité soudaine : l’extrême attention de la conscience pleine avant le surgissement de l’ouverture magique. On savoure Daniel Herrero évoquant ce "raccourci de l’aventure humaine" qu’est à ses yeux le rugby, du Haka à la mêlée ouverte, partition frénétique d’une évasion souveraine. Qui n’a jamais participé à un essai collectif ne sait pas de quoi l’on parle. J’aime ce jeu de garnements qu’évoque Jacques Roubaud, le poète, à propos du XV de la rue d’Ulm, dont le demi de mêlé s’appelait Samuel Beckett, et qui délivra contre l’AS Police de Paris son plus énorme match.

De la poussée des bourrins à la feinte d’Arlequin, comme le dit Giraudoux, on aime le rugby d’un amour charnel. Du sensible, rien que du sensible, car il en faut pour réussir une passe, porter l’action de mains en mains dans ce contact physique qui transgresse les limites d’un tabou contemporain, celui du toucher. Il n’y a pas de champion solitaire au rugby, mais un chœur où chacun doit se remplir du geste des autres pour être dans le bon timing, pour être dans la présence de chacun à tous, cette présence qui est comme la clef de la réussite d’un bon match capable de transcender ces lieux qui ont fait du rugby une légende, suscitant mille raconteurs d’histoire et la ferveur d’un public jamais lassé.

 

 

Le Goût du rugby, collectif, Mercure de France, coll. Le Petit Mercure, 30 août 2007, 144 pages, 5,50 euros, ISBN-13: 978-2715227736.

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