Le Département, ultime salut politique ?
Depuis 2005 un long processus d’affranchissement des couches populaires est en marche, qui jusque-là s’est manifesté par la formidable poussée de l’abstention et la croissance du vote FN. Un processus chaotique, qui est le fait de cette France périphérique, de cette France des plans sociaux et des oubliés ruraux, de cette France des fragilités sociales que les gouvernements en place n’ont cessé d’adosser à une structure publique de l’emploi mise volontairement en faillite. La France de l’angle mort de la mondialisation, selon la très belle expression de Christophe Guilluy (La France périphérique, Flammarion, 2014). La France des catégories sociales frappées d’éviction, couches moyennes pauvres et populaires qui n’ont cessé de prendre des coups portés par les partis au pouvoir, Gauche / Droite confondues. Des coups portés méthodiquement contre cette France multiculturelle, qui fut la seule à tenter de prendre en charge la question et le souci de l’autre. Les cadres, eux, ont construit pendant tout ce temps leur protection résidentielle loin de l’ambivalence du rapport à l’autre, privatisant les meilleures écoles publiques de la république et colonisant les anciens cœurs ouvriers des métropoles pour en faire de charmants quartiers inaccessibles aux couches moyennes.
Une France dégoûtée. Une enquête IPSOS de 2014 montrait que 65% des français pensaient que les hommes politiques étaient corrompus. Que 84% d’entre eux étaient convaincus que ces mêmes hommes politiques n’agissaient qu’au nom d’intérêts privés. Et pour 78% d’entre eux, que leurs idées n’étaient pas représentées. Une étude du Cevipof devait confirmer ces résultats : entre les couches supérieures intégrées et les couches modestes (moyennes et populaires), la fracture culturelle est totale, et consommée. Il existe désormais un divorce structurel définitif entre les catégories modestes et les catégories supérieures, et selon les conclusions de cette étude, il n’y a plus de consensus envisageable.
Rien d’étonnant alors à ce que l’on assiste en direct, élection après élection, à l’implosion du champ politique, dont le système ne revêt plus aucune légitimité. Seul le vieillissement du corps électoral permet de maintenir l’idée mensongère d’une distinction Gauche / Droite. L’illusion peut encore, un certain temps, tenir. Mais l’émergence d’une nouvelle carte électorale accélère l’implosion de ce système politique. Le vote UMP / PS est ainsi devenu celui des vieux, des plus protégés et/ou des bénéficiaires de la mondialisation. En ce sens certes, ils ont tous deux de l’avenir, grâce au vieillissement de la population. Encore que la paupérisation des retraités français risque bientôt de changer la donne. Le PS, l’ex parti des classes moyennes, après leur avoir tourné le dos dès 1981, a vu son socle électoral se réduire comme une peau de chagrin. Hollande n’a dû sa victoire qu’à force de mensonge et de démagogie. Peu après, il a cherché et trouvé sa dynamique du côté des intellectuels et des cadres supérieurs des métropoles, lesquels ont fini par se positionner résolument à Droite idéologiquement. Hollande le sait bien, qui tente d’anticiper la disparition du PS en organisant son autodissolution (le macronisme) dans le nouveau courant néolibéral transpolitique qu’avec l’aide de Valls il tente de faire surgir. Il est temps en effet de créer ce nouveau parti néolibéral qui sous couvert d’un faux discours de gauche subsumera la Droite non totalement réactionnaire sous sa bannière. Car Hollande, Valls et Macron ont parfaitement compris que non seulement il n'était pas souhaitable, mais qu’il n’était plus possible d’intégrer les catégories exclues de leur projet économique et sociétal.
Ou bien par la bande, avec la complicité du FN, lequel a changé de stratégie justement pour capter cette clientèle électorale délaissée par les deux grands partis de pouvoir, en prenant le tournant d’un discours social. Le vote FN est devenu peu à peu celui des français «exposés», fragiles économiquement. La sociologie de l’électorat FN est une sociologie de gauche, positionnée contre le patronat et la mondialisation libérale –que le FN a ajouté à son vieux combat contre la société multiculturelle. Adossé à des populations jeunes, le FN tente de réunir sous sa bannière les catégories modestes. Un vote inscrit dans cette France périphérique délaissée : sa progression dans l’Ouest en témoigne spectaculairement. Il lui reste à convaincre les abstentionnistes, dont la progression est non moins spectaculaire et qui a fini par constituer une gigantesque réserve de voix.
La fracture territoriale dessine ainsi désormais une géographie électorale. La France métropolitaine, riche, vote UMPS, la France périphérique, pauvre, s’abstient massivement ou vote FN.
S’abstient massivement. Gardons en tête ce sondage Ipsos auquel les médias n’ont pas voulu offrir une grande publicité. Il pointe une autre voie, celle d’une France qui s‘affranchit des discours dominants. Mais qui se cherche un contre-pouvoir. Celui des départements justement, quand Hollande voudrait les supprimer (on comprend pourquoi) et fortifier la structure de commandement centralisée en donnant à quelques supers régions le pouvoir sur cette France périphérique, histoire de la mettre au pas. Une structure qui en effet ruinerait toute tentative de s’en sortir économiquement et socialement. Or, c’est dans cette France périphérique qui résiste, et qui s’abstient massivement, que se posent aujourd’hui les bases d’un autre modèle républicain, sans perfusion de l’état central ni soumission au modèle métropolitain.
Le territoire comme base de recomposition politique ? N’oublions pas que c’est dans cette France périphérique que l’on a vu émerger le mouvement des ZAD. C’est là où commence à se structurer une contre-société. C’est dans cette France périphérique que s’invente la radicalité sociale et politique, déjà. Dans ces communes autogérées par exemple, qui défient la tradition du commandement municipal pour rendre aux administrés leur voix. C’est dans l’expérimentation de ces nouvelles ruralités que s’invente une autre manière de vivre. Dans ces relocalisations des circuits courts tout aussi bien. Des démarches qui partout se multiplient, de scoops, de coopératives, et qui traduisent en fait une émancipation politique. D’autres choix économiques y émergent, en marge d’un système politique prétendument républicain et profondément anti-démocratique, usé jusqu’à la corde.
La France périphérique, Comment on a sacrifié les classes populaires, de Christophe Guilluy, Flammarion, Collection : DOCUMENTS SC.HU, 17 septembre 2014, 192 pages, 18 euros, ISBN-13: 978-2081312579.