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La Dimension du sens que nous sommes

Le combat n’est jamais fini : la poésie Sud-Africaine contemporaine

8 Janvier 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #poésie

vonani-bila.jpgPas de blessure, pas d’histoire… Le titre de l’opus est à prendre avec des pincettes et pourrait même paraître douteux à laisser entendre qu’au fond, l’Histoire ne pourrait s’écrire que dans la douleur… D’autant que le pays dont il est question en a supporté plus qu’à son tour, qui commence tout juste de s’affranchir de l’apartheid. La poésie d’Afrique du Sud se dévoile ainsi, pleine d’énergie, d’inventions, d’intentions. Diversifiée à l’extrême plutôt que partant dans tous les sens, couvrant tous les registres, du plus intime au plus collectif de l’être, articulant le social au personnel, le politique au quotidien, sans jamais se délester des sommations des questions d’identité.

histoireAfrik-sud.jpgFin 80, tout commençait alors. C’est là qu’elle semble plonger ses racines, son renouveau, davantage que dans la période spécifiée ici, difficile et confuse, en particulier celle des années 1996– 1998, qui vit la mise en place de la fameuse Commission Vérité et Réconciliation, rouvrant les tombes, captant les témoignages, les voix, arrachant des mains spoliées ou sanguinaires le chagrin et la clémence qu’appelait Mandela (Antjie Krog) en un immense travail de mémoire que peu de nations ont osé affronter. C’est que l’humain faisait alors de nouveau surface, s’offrant enfin au surgissement de l’Histoire dans un moment infiniment, intimement politique. Un temps au cours duquel on lisait des poèmes pendant les audiences de la Commission ! Comme si la poésie avait été la seule langue dans laquelle ouvrir un vrai débat collectif, la seule à savoir prendre la mesure de la tâche qui attendait l’Afrique du Sud ! Bourreaux et victimes assis sagement pour entendre cette poésie s’énoncer et exhorter Mandela à ne jamais oublier que le combat n’est jamais fini. Cette même poésie qui, en 2008, prendra à sa charge la lutte contre la xénophobie qui fit de nouveau irruption dans le pays. Chargée de tout le malaise que procurait une présidence incapable d’enrayer la corruption galopante, les vieilles habitudes des nantis qui refaisaient surface. Cette même poésie qui vint frayer son jour sous les paupières presque closes de Mandela, dans cet étrange suspens du temps de son agonie. Le regard vigilant, à scruter l’impact énorme de la situation historique sur la vie intime des êtres.

amandla.jpgLe poète africain s’est fait critique, passeur. Et parce qu’il nourrissait un grand espoir pour les êtres de cet étrange contrée, il conservait dans le même temps une fabuleuse exigence pour les dirigeants du pays. Le combat n’est jamais fini. Les poètes sud-africains ne voulaient pas imaginer que les choses pouvaient en rester là. Nous aimons-nous comme cela ?, interrogeaient-ils. Une question qu’il serait bon de voir la France se poser… Ils convoquèrent cette mémoire marquée au fer rouge. L’apartheid les avait blessés. Durablement. Cristallisant le politique dans l’intime de chaque chair. Et c’est peut-être la raison pour laquelle, à lire cet ensemble, on y éprouve tant de proximité, d’intimité : la pleine mesure du poids du monde balançant entre le trivial et le sublime, qui sont les vrais lieux du poème.

Cette poésie, Denis Hirson la scrute avec passion. Il l’a lue, ressentie, étudiée enfin. Il l’a scrutée et a observé comment elle s’est libérée de ses chaînes formelles. Il observe avec une rare acuité comment la question du temps y est vrillée. Un temps enfin libéré, démultiplié en temporalités distinctes où le plus lointain du passé africain remonte avec force pour féconder l’aujourd’hui. Tout le contraire de ce temps assiégé, investi, enfermé, cadenassé sous l’apartheid. Mais un passé en construction, s’ouvrant à tous les possibles de ses étendues pour former peu à peu une mémoire enfin collective, partageable enfin, réellement et non quelque idiome à l’usage des seuls nantis. Les Africains ont traversé les montagnes, les continents, les mers, les époques et le pire de l’humain. Et ce flux incroyable de voyageurs nés fait retour ici, pour nous offrir un territoire qui n’est plus borné mais s’offre à penser comme monde ouvert à l’ouvert. Pour preuve, le fourbissement des langues qui traversent cette anthologie : pas moins de onze, souvent chevillées au cœur d’un même poème, comme le pratique un Vonani Bila, passant de l’anglais au tsonga, du tsonga au sotho du nord ou au zoulou. Un élan incroyable a envahi cette poésie sud-africaine, contrainte, faute de traducteurs, de se traduire elle-même, de chercher les voies pour le faire, entre l’argot des townships et les poèmes à forme orale, entre l’arabe, le russe et le français, pour fomenter une langue infiniment jouissive, inventive, révélant la seule chose qui compte : l’intimité des relations humaines, dans un pays où jusque-là on lançait les uns à la figure des autres.

 

Pas de blessure pas d'histoire, Poèmes d'Afrique du Sud 1996-2013, édition dirigée par Denis Hirson, collages A.D. Sauzey, Bacchanales n°50, Maison de la poésie Rhônes-Alpes, Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne, nov. 2013, 228 pages, 20 euros, isbn 13 : 978-2-36761-002-3.

 

Vonani Bila : http://www.joel-jegouzo.com/article-silence-de-vonani-bila-afrique-du-sud-117993216.html

 

Ari Sitas :http://www.joel-jegouzo.com/article-ari-sitas-biennale-internationale-des-poetes-118111052.html

 

http://www.joel-jegouzo.com/article-afrique-du-sud-une-traversee-litteraire-118239782.html

 

Gcina MHLOPHE :http://www.joel-jegouzo.com/article-souviens-toi-president-121922952.html

image : Vonani Bila, invite d ela librairie L’établi, à Alfortville (94400)

 

 

 

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