L’ouvrage, écrit au cours de la bataille de Verdun, fut immédiatement censuré. Il ne paraîtra qu’après la guerre. L’état-major allemand avait confié à l’auteur la tâche d’écrire une chronique de cette bataille. Devant l’horreur et l’absurdité de l’engagement, Fritz von Unruh choisit de dénoncer la cruauté de cette guerre à travers le destin d’une compagnie dont les hommes allaient devoir affronter la terreur de l’assaut. Tout commence par la préparation d’artillerie. Un millions d’obus sont tirés en vingt-quatre heures… L’assaut sera donné sur les bois des Fosses, Beaumont. En face, l’état-major français a décidé de conserver Verdun. Coûte que coûte. Fer sur fer, ordre barbare sur ordre barbare. La compagnie de Fritz prend donc le chemin du sacrifice. «Nous mangeons et engraissons pour fertiliser cette aube qui approche en nous, dévoilant sa poigne : Verdun». La nuit des temps, en chair et en os. Partout déjà des crânes défoncés, des corps pourris et «la grande fraternité des tombeaux à ciel ouvert». C’est cette communauté solennelle des morts que nous décrit l’auteur, tandis que les gaz exécutent leur danse macabre autour des survivants. Le roman croise une foule de personnages que l’auteur ne parvient pas à prendre le temps de nommer. Ils tombent aussitôt, ne font que courir et mourir. Le vicaire, le serveur, le tambour, le comédien et tant d’autres. C’est quoi l’honneur, dans ces conditions ? Celui de parvenir à verser son sang parmi le flot continu du sang versé ? L’objectif des troupes d’assaut est simple, efficace : mourir. Les ordres donnés, personne ne sait où aller vraiment, sinon tout droit, courir quelques mètres avant de s’écrouler. C’est cette géographie sinistre que décrit le roman : des montagnes de cadavres qu’un général grandiloquent observe derrière ses jumelles. Verdun n’est la promesse de rien. Place pour ceux qui ont entre leur main la foi des autres… D’une tranchée l’autre, un soldat allemand hurle : «Vous tenez à rester ennemis ?» En vérité, il n’y a plus rien à faire qu’aller au bout de l’absurde pour sceller le massacre de toute la jeunesse européenne. C’était ça 14-18 : le massacre légalisé de la jeunesse. Cet inéluctable sanglant. Chacun simplement à la recherche d’une sépulture sur le champ de bataille, à l’abri des vagues de rats qui l’envahissent sitôt la mort installée. Les seuls à guetter avec impatience le feu de l’assaut. Le champ de bataille ressemble bientôt aux viscères à nues du festin des rats. «Beaumont, dans quelle nuit as-tu sombré?», s’écrit Fritz. La mort a recouvert tout le destin européen.
Le chemin du sacrifice, de Fritz von Unruh, La Dernière Goutte Editions, coll. Littérature générale, 13 mars 2014, préface de Nicolas Beaupré, traduction de Martine Rémon, 239 pages, 19 euros, ISBN-13: 978-2918619185.