Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La Dimension du sens que nous sommes

L’ombre de la pureté pèse sur la France forte…

26 Avril 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

societe-pure.jpg
Historien des sciences, c’est un déficit de pensée qu’André Pichot avait comblé avec la publication de son ouvrage : La société pure, de Darwin à Hitler.
Question embarrassante que celle de la pureté d'une Nation qu'aucune immigration ne viendrait contaminer, par exemple... Intéressante à étudier au moment où se fait jour une nouvelle poussée raciste. Car jusque là, médias et historiens pensaient l’avoir verrouillée à l’intérieur de l’idéologie nazie et s’en être débarrassée avec la sortie du nazisme de nos horizons politiques. Or, ce qui transparaît de cette étude serrée, c’est que si l’eugénisme a été très largement laissé dans l’ombre au sortir de la guerre, c’est parce qu’il offrait une image gênante des sociétés de la première moitié du 20ème siècle dans les relations pour le moins troubles qu’elles avaient entretenues avec les idéologies racistes, dont le nazisme. En effet : les premières lois eugénistes par exemple, datent en réalité de 1907. Et elles étaient… américaines. En Suède, elles restèrent en vigueur jusque dans les années 1970… Le Directeur de l'UNESCO, Julian Husley, humaniste social-démocrate, attestait encore, en 1946, de leur bien-fondé. Quant à la Fondation Rockefeller, elle joua un rôle crucial dans son implantation en Europe, en particulier par le financement de laboratoires d’études sur l’eugénisme en Allemagne, dès les années 1920 –ce n’est qu’en 1939 que cette fondation cessera de verser des bourses d’études à l’Allemagne nazie.
L’eugénisme était ainsi le lieu commun de la culture scientifique de l’époque, bien avant sa reformulation barbare par Hitler, pressé d’accélérer la purification de la race qui était en marche sous le couvert des études génétiques, en doublant l’eugénisme positif (la génétique) par un eugénisme qualifié de "négatif" car procédant à l’élimination immédiate des agents décrétés "pathogènes" pour la société : les races inférieures pour Hitler, ainsi que les malades mentaux et tous les prétendus déviants sexuels, homosexuels en tout premier lieu.
guernica-detail.jpgL’exemple de la Fondation Rockefeller intéressera ici tout particulièrement, parce qu’il témoigne d’une motivation avec laquelle nous n’avons pas vraiment rompue : l’idée selon laquelle une approche biologique pourrait avoir raison des problèmes sociaux. Encore faut-il l’expliciter. Qu’entendre par là ?
Pour le comprendre, il faut paradoxalement revenir à ce que nos sociétés ont refusé d’entendre dans la complexité des enjeux culturels que véhiculait cette science naissante de l’eugénisme, en faisant par exemple de Gobineau le père du racisme alors qu’en réalité, c’est du côté de Darwin qu’il faut en chercher les fondements. Dans Darwin, oui, qui ne proposait rien moins que de résoudre les problèmes sociaux par la promotion de la science des bonnes naissances. Dans Darwin qui expliquait le plus posément du monde que la société devait suivre le modèle de la nature, à savoir, celui de la lutte pour la survie, lutte au sein de laquelle, il va sans dire, le fort triomphe du faible, le plus adapté du moins adapté. Ce faisant, ce que Darwin imprimait dans son siècle, c’était rien moins qu’une idéologie dévastatrice, inscrivant l’obsession de la guerre dans cette sociologie de pacotille, où la lutte devenait le mode de compréhension des rapports entre les êtres et leur milieu. De cette conception des conflits nécessaires découla tout naturellement l’idée de la supériorité des indo-européens sur le reste des peuples, puisqu’ils gagnaient leurs guerres, et à l’intérieur de cet ensemble, celle de la suprématie anglo-saxonne.
Qu’on prenne le temps de comprendre ce que traduisait en réalité Darwin et les raisons pour lesquelles cette vision de l’humanité convenait plus que n’importe quelle autre aux valeurs de la bourgeoisie naissante : n’était-elle pas la classe qui devait sa supériorité historique à son seul mérite ? N’était-ce pas la force de son combat qui lui avait fait gagner sa prééminence sociale ? Darwin lui fournissait l’idéologie dont elle avait besoin pour assumer sans état d’âme sa victoire. Mais en réalité, l’interprétation que Darwin élaborait de l’évolution ne faisait que calquer l’image de la nature sur le modèle social de la révolution industrielle, incroyablement prédatrice en vies humaines.
Le succès du roman anthropologique de Darwin, glorifiant les prétendues luttes pour la survie, dont aujourd’hui les savants ne cessent de dévoiler les approximations, fut très vite relayé par un biologiste allemand qui lui assura son triomphe à travers une publication qui eut un retentissement énorme dans toute l’Europe : Les énigmes de l’univers. Ernst Haeckel, son auteur, en amplifia au passage la résonance sociale, élaborant ce qui allait devenir la moderne biologie-politique du nazisme. Très clairement, il était possible d’entrevoir désormais des solutions biologiques aux troubles sociaux que des groupes humains pouvaient occasionner dans la société bourgeoise. Des solutions biologiques… Dont celle de la purification des Nations par la maîtrise de leur composition ethnique. Exit, ici, l’idée des fondements exclusivement politiques de l’identité nationale française, par exemple.
En occultant les fondements darwinien de la sociologie du racisme, on aura fait en fin de compte que brouiller la compréhension de cette construction intellectuelle qu’est le racisme. La phraséologie darwinienne du combat pour la vie est passée tout entière dans le discours géopolitique des rapports entre les nations, conçus presque exclusivement sous les espèces de la survie biologique (du Peuple français) sous couvert de survie économique. L’imaginaire de la compétition nécessairement féroce entre les Etats ne peut ainsi qu’instruire l’imaginaire de la force et du courage, des batailles à mener, des sacrifices à faire, et, idée maîtresse, de l’adaptation au milieu à savoir : l’économie globalisée, posée comme l’incontournable réalité où toute forme de vie peut s’éprouver.
Il faut sortir au fond de cette idéologie de la lutte pour la survie pour rompre avec la phraséologie raciste, ce qui revient à rompre avec un élément de langage fondamental de notre culture occidentale !
 
La société pure, de Darwin à Hitler, André Pichot, Flammarion, coll. Sciences, octobre 2001, EAN : 978-2080800312. (images : Guernica, de Picasso, détail)
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article