LA PASSION VICTIMAIRE DES DEMOCRATIES OCCIDENTALES…
24 Juin 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique
Si, pour Max weber, l’Etat moderne s’identifiait entre autre par le fait qu’il disposait légitimement de la violence, l’Etat contemporain, lui, est celui qui a fini par retourner cette violence contre ses propres citoyens. Génocides, nettoyages ethniques, massacres organisés, stigmatisations, la panoplie des infamies est monumentale, qui ne traduit pas un mauvais fonctionnement de l’Etat contemporain, mais son essence même nous dit Paul Dumouchel dans son essai Le sacrifice inutile. Une essence qu’il a trouvé à inscrire dans ses institutions, à l’image de l’Etat français créant un Ministère de l’Identité Nationale…
Violence constitutive donc du vrai topos de ces Etats, au terme qui plus est d’un tour de passe passe sans pareil, identifiant comme adversaire l’ennemi intérieur, à savoir, ces victimes "acceptables" qui concentrent en toute quiétude citoyenne la fureur de la machine étatique, machine dissipant au passage une joyeuse indifférence au sein des populations provisoirement épargnées. Un transfert de violence de l’extérieur vers l’intérieur du pays concentré sur les populations les plus fragiles, ainsi qu’on l’a vu avec les Rroms par exemple. L’ordre politique contemporain se nourrit donc d’une sorte de violence totémique, réactivant l’exutoire du sacrifice archaïque et reposant sur une économie de violence sans pareille (la crise d’austérité que l’on nous prépare en dit long à ce sujet).
Une violence qui traduit au passage une véritable auto-destruction du politique, nous dit Dumouchel. L’Etat vide en effet l’autorité politique de tout contenu moral, libérant sans frein la bonne comme la mauvaise violence : car ce qui la légitime, c’est qu’elle ait lieu, le geste politique par excellence étant de recouvrer une violence par une violence plus grande, établie comme juste dès lors que celui qui l’exerce dispose du Pouvoir, à savoir : l’autorité démocratique. En retour, le simple exercice de cette violence suffit à légitimer celui qui la déploie… Une circularité que Paul Dumouchel décrypte avec talent, inscrivant au cœur de ce fonctionnement tautologique la seule vraie inquiétude qui vaille : dans les régimes démocratiques, il n’y a aucune issue possible, de même qu’il ne peut plus exister de bon ou de mauvais gouvernement : il y a le Pouvoir, et c’est tout. Un Pouvoir auquel nous sommes totalement livrés…
Le retour de la violence au sein de l’espace théoriquement pacifié qui aurait dû être celui des démocraties signe ainsi l’échec des conceptions démocratiques de l’autorité souveraine : le Souverain, dans nos démocraties occidentales, n’est plus le Peuple, ni la Nation, mais l’Etat. Et sa violence n’est que l’expression d’une violence privée : celle de la ligue au Pouvoir. Aucun mécanisme ne peut nous mettre à l’abri de ce dépassement de l’autorité, nous livrant, tous, à la passion victimaire des démocraties contemporaines. --joël jégouzo--.
Le sacrifice inutile -essai sur la violence politique, de Paul Dumouchel, éd. Flammarion, coll. Essais, février 2011, 322 pages, 21 euros, 9782081241893.
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