LA GUERRE COMME FORME IDEALE DU RECIT DE SOI…
C’était à St Malo. Etonnants Voyageurs, toujours. La même année il me semble, Deniau dans une autre salle. En se retirant, la mer dévoilait un paysage morne, désabusé. A l’intérieur des remparts, journalistes et écrivains crapahutaient, se poursuivaient, les yeux rivés sur leur montre. Dégingandé, Jean Rollin promenait sa silhouette hauturière, lasse, amaigrie par un usage intempestif des champs de bataille.
Veston gris, tee-shirt noir, comment parler de la guerre ? De quels moments rendre compte quand il ne s’y passe à vrai dire presque jamais rien, ou bien que les obus s’ingénient à ne tomber que devant les caméras de CNN ? Son long imperméable fripé le distinguait de tous les autres participants. Quelque chose comme le négligé de la véritable élégance, ouvrant à lui seul l’abîme des malentendus dans lequel tombent presque tous les propos sur la guerre. Tel un dandy, Jean Rolin paraissait se tenir en perpétuel équilibre sur le bord d’un éprouvant destin. Dom Juan, sur le point de quitter éternellement sa propre scène, jetant sans cesse un dernier coup d’œil sur la salle tandis que vous lui parlez, toisant et se regardant voir, dans l’espoir de croiser l’hospitalité d’un regard féminin.
La presse, habituellement, rend compte des moments forts. C’est son métier. A la guerre comme au spectacle, il lui faut resserrer, recoudre, arrimer la fièvre à la fièvre.
Jean Rollin, qui a voulu donner du sens à ces viscosités égarées, offre le spectacle d’un homme effroyablement averti. Revenu de tout, ayant partout frôlé l’horreur, son allure construit le show d’un éternel moment fort, travesti d’ennui. Un personnage romanesque en somme.
La guerre serait donc littérature. C’est du moins ce que les écrivains affirment. L’irruption de l’exception dans les vies ordinaires, ouvrant soudain des horizons insoupçonnés. La guerre serait un décor, un thème qui se prêterait merveilleusement à l’élaboration littéraire. Toutes ces grandes émotions, imaginez un peu : l’amour, la mort, la peur, la peur surtout, tout ce que la vie peut offrir de meilleur parce que « vrai ». Il ne serait que d’observer ces apprentis combattants découvrant leurs nouvelles armes avec la joie des enfants déballant leurs cadeaux, pour se convaincre de la profusion des émotions qu’elle peut charrier. Un trésor, un magot que seul l’écrivain saurait ramasser.
Ou même : peut-être l’écriture de la guerre serait-elle la forme idéale du genre romanesque, de l’essai à la Vollmann au Journal intime. L’opportunité d’une grande œuvre. Peut-être à cause de cette difficulté à élaborer ce que l’on voit « vraiment » lorsque l’on est écrivain, plongé dans l’incertitude du jour qui passe, ailleurs, aveugle au lendemain que le réel ne manquera pas de faire surgir inopinément, loin de la clarté déserte de sa lampe.
Une situation qui renverrait à celle du combattant immergé dans le chaos de la bataille, incapable de s’y orienter, d’y comprendre quelque chose. La guerre poserait alors une sorte de défi que seul un romancier pourrait relever. Au regard aveugle du combattant, au regard myope des journalistes, elle opposerait le regard clairvoyant de l’écrivain, ou prétendu tel.
Songeons à Malraux, ne mettant les pieds en Chine que deux jours puis embrassant dans une vision sublime le sens du conflit qui s’y déroule, au point que Trotsky s’imagina pouvoir lui demander conseil… C’est d’ailleurs peut-être ce magistère d’opinion, que détenaient naguère les intellectuels, qui fascine aujourd’hui encore ceux qui font vœu de les lire.
Ou bien l’illusion de pouvoir embrasser enfin une totalité : l’anecdote et la question du sens, en ses fondements mêmes. Jean Rolin n’a pas dérogé aux règles du genre. Son journal de campagne nous promène sur les routes des Balkans en une sorte de déplacement tout à la fois attentif et précieux, moins celui d’un témoin que d’un regard s’offrant à la contemplation de ses lecteurs. S’il n’y a pas grand chose à voir, il reste au moins cela : la guerre comme forme idéale du récit de soi. –joël jégouzo--.
Jean Rolin, Campagnes, récit, éditions Gallimard, janvier 2000, 196p., EAN : 978- 2-070748456.
(photo jJ)
sur la Guerre dans le roman, voir l'article de Claude Mouchard :
http://bablogorrhee.blogspot.com/2007/06/claude-mouchard-tmoigner-de.html
Veston gris, tee-shirt noir, comment parler de la guerre ? De quels moments rendre compte quand il ne s’y passe à vrai dire presque jamais rien, ou bien que les obus s’ingénient à ne tomber que devant les caméras de CNN ? Son long imperméable fripé le distinguait de tous les autres participants. Quelque chose comme le négligé de la véritable élégance, ouvrant à lui seul l’abîme des malentendus dans lequel tombent presque tous les propos sur la guerre. Tel un dandy, Jean Rolin paraissait se tenir en perpétuel équilibre sur le bord d’un éprouvant destin. Dom Juan, sur le point de quitter éternellement sa propre scène, jetant sans cesse un dernier coup d’œil sur la salle tandis que vous lui parlez, toisant et se regardant voir, dans l’espoir de croiser l’hospitalité d’un regard féminin.
La presse, habituellement, rend compte des moments forts. C’est son métier. A la guerre comme au spectacle, il lui faut resserrer, recoudre, arrimer la fièvre à la fièvre.
Jean Rollin, qui a voulu donner du sens à ces viscosités égarées, offre le spectacle d’un homme effroyablement averti. Revenu de tout, ayant partout frôlé l’horreur, son allure construit le show d’un éternel moment fort, travesti d’ennui. Un personnage romanesque en somme.
La guerre serait donc littérature. C’est du moins ce que les écrivains affirment. L’irruption de l’exception dans les vies ordinaires, ouvrant soudain des horizons insoupçonnés. La guerre serait un décor, un thème qui se prêterait merveilleusement à l’élaboration littéraire. Toutes ces grandes émotions, imaginez un peu : l’amour, la mort, la peur, la peur surtout, tout ce que la vie peut offrir de meilleur parce que « vrai ». Il ne serait que d’observer ces apprentis combattants découvrant leurs nouvelles armes avec la joie des enfants déballant leurs cadeaux, pour se convaincre de la profusion des émotions qu’elle peut charrier. Un trésor, un magot que seul l’écrivain saurait ramasser.
Ou même : peut-être l’écriture de la guerre serait-elle la forme idéale du genre romanesque, de l’essai à la Vollmann au Journal intime. L’opportunité d’une grande œuvre. Peut-être à cause de cette difficulté à élaborer ce que l’on voit « vraiment » lorsque l’on est écrivain, plongé dans l’incertitude du jour qui passe, ailleurs, aveugle au lendemain que le réel ne manquera pas de faire surgir inopinément, loin de la clarté déserte de sa lampe.
Une situation qui renverrait à celle du combattant immergé dans le chaos de la bataille, incapable de s’y orienter, d’y comprendre quelque chose. La guerre poserait alors une sorte de défi que seul un romancier pourrait relever. Au regard aveugle du combattant, au regard myope des journalistes, elle opposerait le regard clairvoyant de l’écrivain, ou prétendu tel.
Songeons à Malraux, ne mettant les pieds en Chine que deux jours puis embrassant dans une vision sublime le sens du conflit qui s’y déroule, au point que Trotsky s’imagina pouvoir lui demander conseil… C’est d’ailleurs peut-être ce magistère d’opinion, que détenaient naguère les intellectuels, qui fascine aujourd’hui encore ceux qui font vœu de les lire.
Ou bien l’illusion de pouvoir embrasser enfin une totalité : l’anecdote et la question du sens, en ses fondements mêmes. Jean Rolin n’a pas dérogé aux règles du genre. Son journal de campagne nous promène sur les routes des Balkans en une sorte de déplacement tout à la fois attentif et précieux, moins celui d’un témoin que d’un regard s’offrant à la contemplation de ses lecteurs. S’il n’y a pas grand chose à voir, il reste au moins cela : la guerre comme forme idéale du récit de soi. –joël jégouzo--.
Jean Rolin, Campagnes, récit, éditions Gallimard, janvier 2000, 196p., EAN : 978- 2-070748456.
(photo jJ)
sur la Guerre dans le roman, voir l'article de Claude Mouchard :
http://bablogorrhee.blogspot.com/2007/06/claude-mouchard-tmoigner-de.html
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