La Guerre alimentaire a commencé…
50% des hommes souffrent de malnutrition à la surface de la planète, cette faim silencieuse qui mine la vie jour après jour, comme l’écrit Sylvie Burnel. Une malnutrition qui touchait jusqu’ici essentiellement le Sud, mais qui s’est mise à traverser les économies du Nord à la faveur du tournant néo-libéral : le fil conducteur de la faim, c’est la pauvreté, qui a surgi désormais massivement dans les pays du monde occidental. Plus de 900 millions d’êtres humains souffrent aussi de sous-nutrition : la faim, celle dont on meurt, atrocement. 30% de la totalité des denrées produites à la surface de la planète sont jetées à la poubelle par les pays du Nord avant même d’avoir été consommées… 1,6 milliards d’individus se trouvent en situation de surpoids, fléau des pays du Nord là encore, qui frappe cependant les pays du Sud, à front renversé pourrait-on dire : dans les pays du Nord, c’est la malbouffe qui en est la cause. Les classes pauvres en subissent les conséquences, tandis que dans les pays du Sud, ce sont les nouveaux riches qui s’engraissent... En 2015, le Sud sera obèse en plus d’être pauvre… Le paradoxe est ignoble. D’un cynisme consommé, tout comme de voir d’un côté une société d’abondance jeter des denrées auxquelles elle ne touche même pas, tandis que dans le Sud ont fait leur apparition les premières grandes émeutes de la faim. Rappelez-vous celles de 2008, celles de 2010… Réprimées dans le sang. Une vraie guerre menée contre les pauvres. Une guerre conduite par les Etats au nom des marchés financiers, qui se sont emparés avec la plus extrême brutalité de ce secteur de l’activité humaine : désormais, l’agriculture mondiale subit de plein fouet le joug des flux financiers. Les très riches ont confisqué à leur profit la production agricole, spéculant, stockant, organisant leurs pressions artificielles pour faire monter le prix des matières premières et des denrées agricoles. Et à cette spéculation éhontée, il faut rajouter les effets de la révolution des supermarchés qui a introduit des outils dévastateurs pour diffuser le modèle de consommation occidentale, lequel veut que lorsqu’un pays s’enrichit, sa consommation de protéine animale croît vertigineusement. L’effet pervers ? C’est que toute l’agriculture se voit réorientée du coup vers la production de céréales à destination de l’élevage extensif… D’où la confiscation des cultures de céréales, destinées à nourrir les bêtes mangées ou non, dans le Nord… Rajoutez à cela les usages concurrents des agrocarburants détournant le maïs, le riz, la canne à sucre et le palmier de leur vocation alimentaire, et vous aurez achevé de dresser le tableau ahurissant de la martingale de l’échec alimentaire dans le monde. 25% du maïs américain est désormais destiné à la production d’éthanol, 50% à la l’alimentation animale. Le reste est offert aux spéculateurs, qui raréfient le marché en stockant le maïs avant de le revendre… On comprend que l’offre de nourriture ait dramatiquement chuté dans le monde. D’autant que les terres cultivables sont devenues la proie des rachats spéculatifs. Or, d’ici à 2050, la production agricole devrait croître de 70% pour couvrir les besoins alimentaires de la planète. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette vassalisation des territoires par les multinationales nous conduit droit au triomphe de l’impérialisme foncier et des famines monstrueuses comme expression la plus achevée du néo-colonialisme libéral. Les Etats-Unis l’ont bien compris, qui talonnent de près la Chine dans cette nouvelle guerre contre les pauvres, en écrasant les populations tiers sous la botte d’un biocolonialisme machiavélique.
Géopolitique de l’alimentation, coordination Alain Nonjon, éd. Ellipses, avril 2012, 160 pages, ean : 9782729871796.