LA FRANCE DES CAPETIENS : LE POUVOIR, NON L’AUTORITE
Une Histoire politique.
Nécessairement, au cours de ces trois siècles à l’essor économique fulgurant, dont on ne sait trop à quelles causes l’attribuer du reste, si c’est grâce à la pression démographique ou à l’amélioration des techniques agraires qu’on l’a dû, à l’investissement seigneurial ou au formidable travail de la paysannerie française, débroussaillant, sarclant, bêchant, labourant, bâtissant toujours plus de villages et de villes pour y développer un commerce frénétique.
Période évidemment de conquête moins pacifique, inaugurée par l’Eglise, la seule institution à exercer un pouvoir effectif partout en Occident, affirmant farouchement sa volonté d’expansion, à l’extérieur par les croisades, à l’intérieur par une répression systématique contre ses "ennemis de l’intérieur" : païens, hérétiques, minorités de toute sorte.
Trois siècles d’énergie que nous conte avec passion Claude Gauvard, qui ont façonné le visage de cette France qui allait émerger, tant politiquement que culturellement, sinon géographiquement.
Trois siècles sur lesquels elle nous remet les idées en place, rendant compte des travaux les plus récents à leur sujet, battant en brèche bien des préjugés véhiculés depuis des lustres sur leur compte, comme cette fameuse peur de l’an 1000 –qui semble n’avoir jamais existé ailleurs que dans l’imaginaire d’un Michelet, l’inventant pour la plus grande joie de ses contemporains.
Exit également la forte révolution sociale de Duby : en se penchant sur le vocabulaire de l’époque avec plus d’attention qu’il ne l’avait fait, on a pu reconstruire une plus exacte image de la continuité effective de l’entrée dans l’histoire des capétiens dans le prolongement des carolingiens. Les Capétiens y sont allés tout en douceur et en intelligence stratégique. On ne sait au demeurant d’où vient leur nom. La légende l’attribua longtemps à cette Cape de Saint Martin dont il avait revêtu les pauvres et dont un ancêtre capétien fut le dépositaire. Mais il est fort probable, nous dit Claude Gauvard que le nom vienne du vieux français désignant une tête bien faite. Bien faites, les têtes des Capétiens l’étaient en effet, qui leur permirent de comprendre très tôt l’importance de construire un lignage héréditaire capable d’ancrer le Pouvoir dans la filiation plutôt que dans la charge, comme on le faisait jusque là.
A quoi ressemble donc la France de cette période ? Elle n’est alors qu’un puzzle de principautés, nous dit Claude Gauvard. Une douzaine, aux frontières floues, fluctuantes, sans grande rigueur administrative. Il n’y a pas de Pouvoir central. Ce concept que nous utilisions jusque là pour l’évoquer, affirme-t-elle encore, aura été préjudiciable à la description de cette France qui n’existe que sur le papier, interdisant d’en comprendre le fonctionnement politique et administratif.
Et l’historienne d’en revenir aux Principautés, le fondement de ce qui allait émerger, exclusivement soucieuses de leur implantation dynastique : les Princes ne s’intéressent qu’à leur lignage, qu’ils cherchent à enraciner dans une terre plutôt que dans une charge, dévoyant ainsi le sens de l’autorité seigneuriale telle qu’elle avait été léguée par leurs prédécesseurs.
Et le royaume de France n’est pas autre chose qu’une association de nébuleuses : des territoires non homogènes où les Princes gouvernent par réseau, déployant autant leurs parentèles de sang que ces parentèles fictives d’allégeances, offrant pour sceller ces allégeances des terres à leurs vassaux. Vers l’an 1000, la vraie révolution est urbaine : des milliers de nouveaux châteaux vont s’élever. La compétition est féroce. Le nombre de châteaux privés (en bois bien évidemment) explose, générant une multitude de conflits. Les Princes vont donc chercher à territorialiser leur Pouvoir. Les capétiens n’y échappent pas qui, mieux que les autres, ont compris la valeur politique de cet enracinement : le Pouvoir devient désormais une affaire de sang, non d’élection.
Le Pouvoir de Hugues Capet s’exercera ainsi d’abord sur cette transmission par le sang, rompant la chaîne du pouvoir électif et dévoyant le sens moral de l’autorité en imposant un lignage vertical, associant de plus en plus souvent le fils aîné au Pouvoir du vivant du père –un moyen de faire taire les cadets.
La grand intelligence des Capet est là : d’avoir compris mieux que les autres comment confisquer efficacement le Pouvoir. Tout comme ils ont compris mieux que les autres les rituels du sacre, leur ajoutant celui du Pouvoir thaumaturgique des écrouelles, ce mal des Loups né dans les légendes populaires de leurs propres terres, que les clercs n’apprécièrent pas, car il inscrivait un rapport de force qui leur était du coup défavorable, autorisant le Roi à s’en remettre directement à ses sujets…
Que signifie donc le titre de Roi à l’époque ? Les capétiens se nommèrent "Roi des francs", non de France : leur pouvoir n’était pas inscrit dans un territoire. Les recherches sémantiques contemporaines montrent que ces francs dont il était question n’étaient en rien le Peuple franc, mais ces "hommes libres" qu’étaient les nobles. Hugues Capet est le chef de la noblesse, non le Roi de France. Son pouvoir repose sur cette noblesse plus ou moins attachée à respecter sa personne, et ne concerne nullement les paysans par exemple.
Ce qui signifie également que la fonction n’était pas installée dans une terre : le royaume ne naîtra pas avant le XIIIème siècle.
Comment fonctionnait ce pouvoir ? L’étude est particulièrement intéressante sur ce point, qui décrypte les actes établis au long des règnes des capétiens. Au commencement, le Roi a besoin de témoins en très grand nombre pour valider ses propres actes : sa parole ne suffit pas. Et ces témoins sont les châtelains qu’il récompense en leur offrant des offices. Le succès économique de la principauté des capétiens est tel, que bientôt le roi, lié par tant d’allégeances, pourra se passer de témoins. En 1077 apparaissent les premiers Commandements, qui sont des petits ordres brefs sans grande portée, mais symboliquement importants : le roi commence d’affirmer son Pouvoir. Il ne cherche pas encore à s’imposer au sens d’un Etat qui décide : la monarchie des Capétiens est d’abord familiale, patriarcale. Dans leur stratégie de conquête du pouvoir, les capétiens ne vont pas d’abord imposer un royaume, mais la personne du roi, qui peu à peu va pouvoir émanciper son autorité de la dépendance des nobles
Il faudrait bien sûr étudier, ce que fait Claude Gauvard, la responsabilité de l’Eglise dans cette mise en place d’un Pouvoir de plus en plus centralisé et de moins en moins conforme à la morale de l’autorité telle que les textes la concevaient, pour comprendre et l’évolution des institutions monarchiques et la pression que l’Eglise et les principautés vont faire peser sur les mentalités pour les transformer. L’Histoire, au fond, de la nature du Pouvoir tel qu’il nous a été légué, coercitif et sans autorité.
LE MOYEN ÂGE - LA FRANCE DES CAPÉTIENS - UN COURS PARTICULIER DE CLAUDE GAUVARD. HISTOIRE DE FRANCE - LA COLLECTION FRÉMEAUX / PUF, Direction artistique : Claude Colombini à l'initiative de Michel Prigent, Label : FREMEAUX & ASSOCIES, 4 CD-rom.