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La Dimension du sens que nous sommes

LA (F)rance DE VICHY AUX ORIGINES DU SONDAGE D’OPINION…

6 Mars 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

sondage.jpg1936, George Gallup met au point la plus belle invention de domination des masses : "l’échantillon restreint mais représentatif"… Mussolini, Goebbels, ne s’y trompent pas, qui ne tarissent pas d’éloge devant cette bien belle technique de domination des peuples. L’ingénierie sociale ne triomphe pas encore, mais la voilà dotée de parrains efficaces, sinon encombrants… Mais ce que Mussolini et Goebbels ignorent, c’est qu’elle connaîtra ses plus beaux jours en France.

1941, Vichy. Pétain crée la FFEPH : la Fondation Française pour l’Etude des Problèmes Humains… La Fondation recrute des jeunes chercheurs plein d’entrain, dont Jean Stoetzel, que Gallup fascine. L’IFOP existe depuis 1938 (Institut Français de l’Opinion Publique), mais c’est l’occupation allemande qui va lancer d’une manière déterminante la carrière de celui qui n’était alors qu’un marginal au sein de la sociologie française, dominée par Durkheim. A la tête de la FFEPH, Stoetzel réalise les premières enquêtes d’opinion d’envergure, sur une question qui "préoccupe" bien évidemment les français de Vichy (puisqu’on ne cesse de le leur marteler) à savoir : la baisse de la natalité… La natalité française… Ah, le beau sujet !… Naître français… De bonne souche recommandable, sinon identifiable… Il fut l’occasion de la première transformation massive, officielle, de la sociologie en technique de pouvoir. Sitôt la guerre achevée, l’épisode n’est pas clos pour autant : la FFEPH devient l’INED, qui existe toujours, outil certes puissant de compréhension et d’analyse de la population française. Stoetzel accède à une chaire de sociologie en Sorbonne et devient "un fondé de pouvoir en terre de mission de la multinationale scientifique de la sociologie américaine", selon l’expression de Bourdieu, qui ne décolère pas devant cet usage immodéré, impulsif, idéologique de la sociologie. Développant ses méthodes statistiques appliquées à la mesure de l’opinion publique, sourd aux critiques de Bourdieu, imperturbable, Stoetzel poursuit son travail. L’IFOP bourgeonne. mesnongebisEn 1962 est créé la FLORES, puis BVA en 1970, IPSOS en 1975. Leur clientèle est d’abord essentiellement commerciale. Mais dès l’année 1960, ces instituts tentent de se convertir à la prédiction politique. Bourdieu a beau démontrer que toutes les opinions ne se valent pas, n’ont pas le même poids, rendant de fait imprévisibles les mouvements d’opinion et farfelues les prédictions politiques (on a connu cela avec Jospin n’est-ce pas), Bourdieu a beau dénoncer le poids de manipulation de ces fameux sondages, rien n’y fait : les élites politiques s’obstinent, l’opinion est travaillé au corps, à son corps électoral défendant : il faut, coûte que coûte, produire de l’opinion, si possible la meilleure possible pour les partis de pouvoir… De fait, la notion ajustée par les sondeurs cache de plus en plus mal qu’elle n’est qu’un outil idéologico-politique, qui légalise un transfert illégitime de souveraineté sous couvert d’une pseudo objectivité scientifique. Mais rien n’y fait : la France politique demeure sourde à ce procès légitime. Consulting, lobbying pèsent de tout leur poids sur les élections françaises et les choix des électeurs, transformant les élections en business et pesant sur la décision démocratique. C’est également très frappant au niveau européen, où des tables rondes d’industriels dictent littéralement (cf l’ERT) les grandes lignes idéologiques que l’Union doit prendre. Un seul but : mettre le pouvoir politique à l’abri de la démocratie. Un phénomène sans équivalent dans le monde, l’Europe se distinguant encore par le fait qu’il n’y existe pas de Freedom of Information Act, qui permettrait d’accéder, au moins cela, tout comme aux Etats-Unis, à nombre de documents étatiques. Ici, le vide démocratique en guise de gouvernance…

 

L’industrie du mensonge : Lobbying, communication, publicité et médias, John Stauber et Sheldon Rampton, traduit de l’américain par Yves Coleman, préface de Roger Langlet, édition Agone, oct. 2004, coll. Contre-feux, 363 pages, ean : 978-2748900125.

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