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La Dimension du sens que nous sommes

LA CHAMBRE D’ENFANT, ADRESSE DE L’ABSOLU (l’univers du sens)

22 Janvier 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

L’Autre, celui que je ne comprends pas, qui m’oblige à inventer un parler, à l’inventer avec lui et non dans quelque géniale solitude qui me serait propre. A l’inventer comme le trait de notre génie, dans l’échange que nous tentons. Et cela tout en sachant que face à lui, ce qui est énoncé peut ne l’être que dans un lieu incertain : on parle dans une relation. Et tout cela tout en sachant que toute rencontre est une formidable aventure. Celle de l’enfant sur le seuil de sa chambre. Ou comme peut l’être le désir. C’est peut-être la même chose au fond. Quand le désir d’échanger avec l’autre s’énonce depuis ce fonds de tendresse qui nous relie les uns aux autres et nous incline à filer à nouveau vers l’enfance ouvrir quelque porte dérobée.

Non. Ce n’est jamais cela. Il faut recommencer, tout reprendre du début, changer de ton peut-être. La chambre d’enfant. Ici l’étang, là le chemin. Ici la forme d’un ciel quelconque, le bord d’un sentier montagneux, le souvenir d’une petite école perchée sur la colline et puis de grands orages d’été. L’enfant ramasse tout ce qu’il trouve sur son chemin : des cailloux, des plumes d’oiseaux, des petits bouts de bois qu’il recèle dans le commandement de sa chambre. Et de la chambre à son seuil il n’y a ni route ni sentier, seulement ces instants d’éternité qu’il dessine et pourchasse de ses gestes. Une Chorégraphie qui porte trace de toute son histoire chargée à tout moment sur ses épaules. Voire du chemin qui s’ouvre, celui qu’il lui faut parcourir pour aller à l’Autre sans se perdre.

L’autre… Y aller ?

La nuit, les étoiles inventent des cartes où ses regards se perdent.

Aller à l’autre et risquer de se perdre dans les confins du couloir, au seuil où l’être s’égare avant de réussir à se retrouver pour recouvrer enfin sa singularité et la force d’y tenir.

Dans la petite rivière qui court sans hâte entre les champs, l’enfant prétend nager : il se tient droit la tête hors de l’eau, le gros orteil de son pied gauche malicieusement posé sur le lit caillouteux. C’est décrire un rythme que d’affirmer cela. Aller à l’autre sans se perdre soi-même est une question de rythme sans doute, comme l’est le fait de lire, quand le souci de ne pas troubler les rythmes de l’autre motive un tact tout particulier, à l’écoute de cette respiration grâce à quoi une parole est proférée.

Sur le rebord des mots. Assis. Ex-sistere : assis au dehors, sur le seuil de sa maison. De son être. Exister, qui est aussi apprendre une langue étrangère que l’on ne sait jamais pouvoir parler partout. (Le langage des groupes est toujours un langage blessé, quand il n’est pas blessant).

L’enfant nage, étend les mains à l’horizontale. Au fond de la rivière parfois il marche comme un somnambule, avant de remonter à la surface de l’eau, pousser des épaules contre le courant, ses pieds cherchant un appui sur l’arête déconcertante de cette masse liquide. Plus tard il apprendra à jeter des cailloux qui troueront les vagues. Et longtemps il croira qu’il suffit d’étendre les bras pour recouvrer le monde.

La chambre de l’enfant balance entre le monde du sens et le monde de la valeur. Elle est une mémoire, matériellement, physiquement disponible, apte à tous les montages, au déploiement défiant tous les modèles, mathématique du foisonnant, l’adresse de l’absolu qui déborde du sens que l’enfant brave, protège, expérimente, la vraie présence de l’Origine à sa parole balbutiante, dans le défi d’exister, présent à soi-même, la chambre s’éveillant à lui-même, lui-même éveillé, prodigieusement. –joël jégouzo--

 

deux dessins de Emile Cohl (1857-1938), cinéaste français : Frantasmagorie (1908)

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