L’obscurité et la moisissure, la cosmogonie barbare de Stanisław Lem.…
9 Janvier 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #poésie
« Il n’est pas donné à la parole humaine de transmettre plusieurs contenus à la fois. Elle est donc impuissante à rendre les apparences et manifestations du monde dématérialisé et sans pesanteur qui m’était consubstantiel, comme si je proliférais sans fin dans un espace continu.
(…) J’étais moi-même l’espace, limité par rien, débarrassé de mon enveloppe temporelle, de la peau, des murs, tranquille et indescriptiblement puissant.
(…) En quelques fractions de seconde, je néais et j’anéantissais des systèmes de mathématiques inconnus en m’efforçant en vain d’en peupler mon propre vide inexploré.
(…) Tout ! Je pouvais tout ! Quelle monstruosité ! J’envahissais le cosmos par la pensée, je le pénétrais, je parcourais les plans de transformation des planètes, et ces envolées alternaient avec des crises de rage quand la conviction du non-sens, de l’inutilité, (…) quand je sentais que la montagne de dynamite sortie d’une étincelle ne pouvait, au terme de son expansion, qu’éclater dans le néant.
(…) Lorsque je m’abandonnais aux platitudes de la généralisation, je me disais qu’une fois atteint le degré d’expansion qui permettrait de résoudre le problème et trouver en moi le modèle d’une humanité parfaite, l’incarnation de cet idéal s’avèrerait en fait inutile et superflue, à moins que je ne décide de réaliser le paradis sur la Terre pour pouvoir ensuite le transformer en quelque chose d’autre, en enfer par exemple…
(…) (Alors) je fus secoué tout entier par un rire silencieux à la vue de cette image de mon devenir, la seule possible, celle d’un dieu transformateur par qui toute matière serait aspirée…
(…) Lorsque je réalisai que ce genre d’événement avait déjà pu se produire une fois, que le cosmos est un cimetière et que le vide contient des incandescentes parcelles résultant de l’explosion suicidaire du dieu précédent qui, dans un précédent abîme de temps germa de la même façon que moi…
Le Bréviaire des robots, Stanisław Lem, traduit du polonais par Halina Sadowska, éd. Denoël, 1967.
Réédité en 1971 chez Denoël, depuis, confiné dans les lectures jeunesses, en Folio junior.
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