L'HISTOIRE S'EST-ELLE SOUDAIN DEROBEE A NOUS ?
7 Mai 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique
"J'ai l'histoire, là, tout entière sous mes pieds, qui se dérobe"...
Xavier Durringer avait d'abord donné pour titre à sa pièce : "Politique et Pornographie".
Comme si l'une et l'autre occupaient désormais le même espace trouble.
Ainsi, avant même le tournant du siècle (le texte date de 1998), le peep-show et le surf formaient-ils les grandes allégories d'une société déjà condamnée au fascisme ordinaire, où les seuls espaces de liberté allaient s'y épuiser tantôt en vain cynisme, tantôt dans la douleur du renoncement.
Au peep-show s'attachait la tâche symbolique de pointer une sorte de fin de la culture - "le théâtre est terminé", proférait son tôlier-, tandis que la figure du surfeur désignait quelque chose comme la fin de l'idéologie - "la Révolution n'a pas besoin de surfeurs". On reconnaîtra là une problématique bien rebattue. Et le propos de la pièce, son "scandale" comme on l'écrivait à l'époque, était bien mince au fond. Fort heureusement, son intérêt n'était pas là. Mais dans le fait qu'elle pointait très tôt le ressassement dans lequel nombre d'intellectuels sombraient, sinon le déni. Déjà Durringer suspectait le modèle démocratique français d'être bancal. Mais le secret espoir d'une Nation unanime qu'aurait surplombé un Etat farouchement en charge du Bien Commun, encombrait trop son théâtre pour lui laisser entrevoir une sortie de crise.
Il y avait tout de même une première conséquence intéressante qui découlait de son parti pris : "Raconter une histoire, s'obliger à ça, coûte que coûte" (X.D.).
Les grandes oeuvres littéraires du XXème siècle étaient restées inachevées : ce n'était pas simplement parce que l'Histoire était devenue problématique, mais parce que les sujets de cette histoire étaient devenus confus. Mais pour n'en pas rester au niveau du slogan, que fallait-il creuser de ce "Maintenir coûte que coûte" la possibilité de l'Histoire, sinon l'abîme qui en constituait désormais le fondement, et où s'était logée la voix d'un sujet exténué -la Révolution, l'Insurrection-, devenues à l'époque les sorties rassurantes des dîners mondains. Car c'était bien cela que ce texte nous donnait à entendre : le petit bruit des cintres que l'on remontait, un décor où précipiter l'Histoire pour n'avoir pas à la penser à nouveaux frais.
Une deuxième conséquence découlait de ce bric-à-brac idéologique : l'invention d'une scénographie de la contiguïté. Les espaces scéniques, dans cette écriture, étaient à poser les uns à côtés des autres, sur un même plan, sans cette profondeur dont l'Histoire a tant besoin pour se déployer. Quand le sujet n'a plus d'épaisseur, il lui reste la surface où étaler ses plis. Nous sont restés depuis dans la gorge les mauvais plis de l'Histoire. Curieuse consolation.
Surfeurs, de Xavier Durringer, éd. théâtrales, mai 1998, 15 euros, EAN13 : 9782842600280
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