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La Dimension du sens que nous sommes

L’état du monde 2013 : la cassure

11 Octobre 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

 

Lla-cassure.jpges éditions La Découverte publie, comme chaque année, son monumental état du monde. C’est toute l’actualité économique, politique, sociale, géopolitique qui est passée au crible cette fois encore, en minutieux dossiers accumulant les points de vue pour nous dresser le bilan non pas d’une année, mais d’une décennie au final, dont nous commençons seulement à comprendre les tenants. Quant aux aboutissants… Il semble bien qu’ils nous réservent encore quelques désagréables surprises dont les élites qui nous dirigent ont malheureusement le secret.

L’intérêt de cette édition réside cependant surtout dans l’effort de synthèse que Bertrand Badie a tenté. Nous naviguions à vue, ballottés au gré des crises et des révolutions, sans parvenir non seulement à nous imaginer un avenir, mais à en penser les origines. C’est chose faite : il y a une rupture. Oui. Une cassure : plus qu’un déchirement, nous vivons une vraie révolution réactionnaire, préparée de longue date et que personne n‘attendait, si ce n’est quelques décideurs privés qui avait jadis parié sur cette cassure et dont Badie ne parle pas. On songe ici au fameux rapport Shell 2000, publié quelques jours sur le net avant le tournant du siècle et qui avait fait un tel scandale que Shell l’avait aussitôt supprimé, en prenant soin d’en effacer toutes les traces informatiques. Un rapport qui annonçait cette cassure entre les élites interconnectées et les peuples, à genoux, tentés, selon ce rapport, par des solutions extrêmes de révolte. Il fallait donc s’organiser, entraîner des troupes inusitées, aux armements nouveaux, construire les digues intellectuelles qui allaient endiguer ces contestations inédites (Shell comptait alors beaucoup sur les médias et les journalistes pour y parvenir, cet ex contre-pouvoir…).

Nous y sommes. Pour les uns le capitalisme semble avoir rompu avec lui-même. C’est lui prêter beaucoup de candeur… La violence que nous subissons est bien dans sa nature, non ? A cette différence qu’aujourd’hui on le qualifie de nouveau de "sauvage"… C’est-à-dire sans frein. Là réside le nouveau des autres.

Car les prémices, ont les connaît. Les signes avant-coureur, la gentrification du cœur des villes, la montée en puissance du pouvoir de la Finance, la paupérisation galopante de masses toujours plus importantes. L’Allemagne elle-même est touchée, dont on nous rebat les oreilles avec son si beau faible taux de chômage, en oubliant de révéler la précarité qui s’est installée dans le pays.

Des signes dont Badie tente d’expliciter le terreau. Un processus de dépossession inauguré il y a une bonne cinquantaine d’année, quand les démocraties occidentales par exemple se mirent en tête d’imposer leur modèle démocratique dans le reste du monde, au mépris des expériences qui s’y faisaient jour. Quand la mondialisation jetait à bas les nations, et quand tomba le mur de Berlin et avec lui le débat des idées, qui allait connaître une régression sans pareille !

Désormais le libéralisme avait les coudées franches, rompant au passage avec lui-même pour accoucher du néo-libéralisme sordide qui nous écrase sous le joug de l’économie conçue comme seul modèle de pensée valide.

L’impératif économique a ainsi fini par faire triompher sa rationalité, anti-politique, anti-sociale, un absolutisme intellectuel débile, qui déboucha très vite sur la confiscation du pouvoir de toutes les souverainetés nationales et à l’intérieur de chacune d’entre elles, sur l’abolition du Peuple souverain . L’économisme… qui allait abolir l’idée même d’une histoire des nations et introduire la cuistrerie du management politique en guise de démocratie.

Ce qui articulait le social au politique, analyse très justement Badie, a été détruit. Exit la démocratie, en occident. Et face à cette montée des périls creusée par l’absence de toute pensée, on ne pouvait que prendre acte d’un inquiétant immobilisme politique, pour ne pas dire, comme Badie, de la montée en puissance d’un féroce conservatisme méthodique qui frappa soudain l’échiquier du pouvoir politique. La Gauche socialiste se rallia aux thèses libérales. Accréditant bientôt, sous couvert de la construction européenne par exemple, le décalage total qui s’est installé depuis entre la délibération nationale et les lieux de la décision politique. Qu’on se rappelle le référendum français bafoué par la représentation politique nationale. On assista alors à un déplacement des lieux du pouvoir, à travers la consolidation sans précédent des réseaux gouvernementaux, pour découvrir, impuissants, cette conjuration des logiques de connivences.

  

manif-espagneLa cassure est bien là, nous dit Badie : entre le social et le politique.

 

Mais face à cette cassure, une nouvelle critique politique se fait jour. L’exaspération des démocraties occidentales en est le signe. Exaspération face, d’abord, aux institutions et leur représentation politique. Vous avez bien lu : des représentations politiques liges d’institutions hors de tout contrôle populaire. Des institutions forgées par un personnel politique stipendié, qui protège en retour ces institutions si commodes pour son pouvoir.

  

Cassure donc, avec d’un côté l’exaspération sociale et de l’autre, la surdité politique.

  

Et bien évidemment, cette nouvelle critique politique qui se fait jour campe aussi sur des mécanismes bien rôdés. Contre le contournement des souverainetés nationales, comment s’étonner que cette critique soit soumise aux débordements populistes ? Désordonnée à Gauche, elle s’y pare d’un doux parfum de jasmin qui ne laisse pas que de réjouir.

Critique de la société elle-même donc, en marche, en construction, un worshop. A la gestion nécessairement hasardeuse : nous n’avons guère envie de nous faire récupérer… Critique de cette fumeuse démocratie des urnes, qui a prouvé combien le vote était contre-productif. Critique d’un système de représentation qui ne représente plus rien. Le contrat social aujourd’hui ? la politique n’en dérive plus.

Et cette cassure, pour la première fois dans l’histoire mondiale, touche à la fois le Nord et le sud. Le printemps arabe est la première révolution post-léniniste effectuée en dehors de toute organisation politique. Une révolution contagieuse. Voyez le Québec avec son printemps érable, les Indignés espagnols, Wall Street Occupy, Geração à rasca au Portugal, voyez en Israël où un mouvement comparable a mobilisé la population. Voyez Parme, où le mouvement Cinque Stelle a pris le contrôle de la ville. Certes des mouvements plus critiques que programmatiques. Mais c’est tant mieux : ils traduisent partout le développement de la critique citoyenne. Quelque chose est en marche, n’en déplaise aux tristes qui ne veulent voir dans les errements des révolutions arabes qu’un leurre. Quelque chose arrive, que nous accompagnons.

 

La cassure – l’état du monde 2013, sous la direction de Bertrand Badie et Dominique Vidal, éd. La Découverte, septembre 2012, 253 pages, 18 euros, ean : 978-2707173560.

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