L’ELECTION ININTERROMPUE : CE QU’IL RESTE DE LA DEMOCRATIE…
Quand Napoléon III décida d’assassiner la République, il proclama le suffrage universel. Quand Bismarck voulut garantir la victoire des libéraux prussiens, il proclama le suffrage universel. Dans les deux cas, l’octroi du suffrage universel scella le triomphe du despotisme.
On tient bien, là, la manifestation de la plus évidente illusion du suffrage universel, qui est de masquer la fabrique d’une majorité n’exprimant qu’un jeu de dupes féroce. Des leçons de Napoléon III et de Bismarck, il nous faudrait admettre que le cirque électoral ne vise rien d’autre que la confiscation du pouvoir. Un cirque qui fait vivre aux citoyens, démocrates épuisés, la prostration de l’illusion démocratique. Car nous vivons bel et bien les temps du pouvoir confisqué. Voyez les cinq années de présidence Sarkozy. Son règne d’arbitraire. Rappelez-vous l’une de ses premières décisions, très symbolique, face au referendum de 2005, biffé d’un trait de plume. Les français avaient mal voté ! Voter était brusquement devenu un acte sans fondement politique. Et quand on y regarde de plus près, ce que l’on constate en étudiant par exemple la question de la légitimité du pouvoir aux Etats-Unis, c’est qu’un Bush n’aura de fait été élu que par 25% des électeurs américains. En France, aujourd’hui, pour ces présidentielles 2012, on découvre que près d’un tiers des électeurs ne se rendront pas aux urnes… Quelle signification politique dégager de cette hyper-abstention ? Sinon que la lutte des pouvoirs politiques contre la démocratie passe aujourd’hui par la tyrannie de la majorité fabriquée et le dégoût d’un geste auquel on a ôté ses vrais fondements politiques.
La comédie des consultations démocratiques se double bien trop souvent de la comédie des promesses que l’on ne tient jamais. Doublées elles-mêmes de la comédie des engagements politiques – comme la comédie de la lutte contre le chômage, ou la comédie des réformes de l’Etat qui n’est l’expression que de son cynisme éhonté. Le tout relayé servilement par un défunt contre-pouvoir qui a cessé depuis belle lurette de jouer son rôle dans la société. Voyez comme les médias nous ont servi la comédie du départ repoussé de l’âge de la retraite, au prétexte d’un gain en espérance de vie, quand l’espérance de vie en bonne santé, elle, ne cessait de décroître… La démagogie elle-même a baissé de niveau !
Le vote n’est plus une délégation de pouvoir mais l’abdication rabâchée, affirme Jean Salem dans son dernier ouvrage. L’exacte traduction de notre misère civique, le modèle occidental de la corruption politique et de la domination des masses. Et l’élection ininterrompue est l’instrument de cette domination. Qui nous maintient dans l’illusion d’une démocratie fétiche où le processus électoral suspend plus efficacement les libertés politiques qu’aucun autre.
Alors le changement, c’est maintenant, nous assure François Hollande. Sait-il jusqu’à quel point nous le voulons, ce changement ? Oui, le changement, ce devra être maintenant, au risque de nous jeter dans une confusion plus atroce. Pourvu qu’une fois gagnée la Présidence ce même Hollande réforme enfin cette République qui fleure la péremption. A commencer par cet ordre politique électoral qui ne fait que s’affirmer contre l’ordre social nécessairement conflictuel. A commencer par la dénonciation de cette fumeuse pacification des mœurs politiques que l’on nous sert comme une nécessité faisant force de loi et qui ne fait qu’affirmer sa toute puissance contre la rue.
La période sent l’avant-guerre sociale, oui. François Hollande a raison d’affirmer que nulle autre élection présidentielle n’aura incarné un tel enjeu. Car le pire –Sarkozy au pouvoir de nouveau- n’est pas exclu. Alors sans doute faudra-t-il d’abord "raisonnablement" le battre pour éviter cet écueil du pire. Mais il faudra aussi ouvrir grand les oreilles socialistes à cette indignation qui monte partout et qui n’est pas une colère vaine, ni moins encore abusive. Une idée s’est mise en marche, où lentement se fait jour une autre possibilité d’exister. Il faudra bien l’entendre si l’on veut changer un Etat qui ne veut pas se réformer.
Elections piège à cons –que reste-t-il de la démocratie, de Jean Salem, Flammarion, février 2012, 120 pages, 7 euros, ean : 978-2081248793.