L’ART D’AVOIR TOUJOURS RAISON...
20 Octobre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais
Simple technique de controverse ou méthode rigoureuse de recherche de la vérité ?
Au moment où Hegel achève de construire l’un des plus beaux systèmes de la philosophie, tout entier dédié à l’étude de la dialectique en tant que structure de la pensée et de la réalité, Schopenhauer, dans ses cours (non publiés) de l’université de Berlin, ramène cette dernière à peu de choses : trente-huit stratagèmes pour terrasser tout contradicteur, que l’on ait raison ou tort. Pure escrime intellectuelle, organe de la perversité naturelle de l’homme, outil de la déloyauté dans la dispute… On a pu reprocher à Schopenhauer ses lectures par trop réductrices d’Aristote ou de Kant. Le très intelligent essai de Franco Volpi, qui suit le texte du philosophe allemand (pour ne pas lui donner tort, quand il se serait aperçu qu’il n’avait peut-être pas raison ?), nous décrit avec une efficacité rare les raisons de ces reproches. Mais par-delà le débat philosophique sur le statut de la logique dans la recherche de la vérité, par-delà les querelles des différentes écoles (Aristote / Platon / Kant / Hegel…), qui nous sont résumées ici avec précision, la réflexion de Volpi invite à d’autres conclusions. Aux trente-huit stratagèmes succède un "Supplément aux premières pages", immédiatement suivi d’un "Second supplément", que pressent des "Notes sur les premières pages", puis des "Notes sur les pages 11 et 12", un nouveau "Supplément à la page 11", et enfin une "Note sur la page 70"… A quoi rime cette impossibilité à conclure ? L’art d’avoir toujours raison manquerait-il à ce point d’assurance ? Par-delà l’inscription de la raison dans ses formes savantes, de quoi Schopenhauer veut-il tant nous faire témoins à ne cesser de camper sur les restes de ses propositions ? De la condition de l’homme moderne, tout simplement. La possibilité qui nous est offerte d’avoir toujours raison est en fait moins celle de pouvoir parler pour ne rien dire que celle d’entraîner la parole à recouvrir la pensée. Moins du reste celle de la pensée philosophique que l’ordinaire de nos raisons communes. Localiser le site de l’existence humaine, tel était au fond son projet. Et quand on y songe, qu’il y ait toujours à dire et si peu qui soit dit, ou que ce dire demeure toujours en excédent ou en reste de ce qu’il vise, "c’est ça qu’est bien avec les mots", comme l’écrira bien plus tard un Beckett. --joël jégouzo--.
L’art d’avoir toujours raison, de Schopenhauer, traduit de l’allemand par Hemi Plard, suivi de Franco Volpi : Schopenhauer et la dialectique, Circé / poche n°25, avril 1999, 120 pages, 6 euros, EAN : 978-2842420758.
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