L’ANGLETERRE A L’HEURE DE L’ABJECTION SOCIALE... (2/4)
11 Décembre 2010 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique
L’abjection. Il n’y a pas d’autres mots possibles. Quand la finalité de l’aventure humaine n’est pas l’homme, mais le profit. Les Anglais en firent les frais à de multiples reprises. Il fut un temps où l’on interdit même aux pauvres de se reproduire. Ce temps n’est pas si éloigné, culturellement parlant : il relève des conditions qui ont donné naissance au libéralisme économique. Il suffit de relire le témoignage qui suit, vieux de plus d’un siècle, pour comprendre que nous ne sommes pas sortis de cette culture barbare de la domination qui aujourd’hui, menace de faire retour à la cruauté de ses origines. –joël jégouzo--.
"Si un homme pauvre osait épouser une femme et lui faire des enfants, il n’avait aucun droit à prétendre leur apporter la subsistance nécessaire et ne pouvait prétendre les nourrir, voire garder en vie sa famille. De même pensaient-ils que lorsque l’un des enfants, ou l’un quelconque des travailleurs de la famille perdait son emploi, il perdait tout droit à la vie. Le travail, qui était l’obligation suprême, ne pouvait qu’être frappé du sceau de l’obéissance suprême. Il fallait travailler et tenir sa langue, année après année, sur son lieu de travail comme hors de son lieu de travail, de jour comme de nuit, et vivre dans la crainte de le perdre, car ce travail ne devait rien au travailleur. Ce dernier n’existait que pour lui et devait s’y plier, sans exigence d’amélioration de sa condition, ni aucune plainte pour le salaire de misère qu’il recevait. Pressuré comme il l’était, le travailleur ne valait pas mieux qu’un repenti sortant de prison, et l’endroit le plus approprié pour l’accueillir restait le cimetière, où il pouvait trouver enfin la paix sous quelques pieds de terre, à ne plus devoir chercher ni salaire ni manger. Une mort rapide et un enterrement bon marché, telle était la devise que les tortionnaires envisageaient pour nous après le travail.
Un nombre toujours plus important de pauvres allaient le dimanche à la cure chercher son potage, et ils étaient toujours plus nombreux à ne pouvoir y accéder. Un jour, je me tenais sur le pas de notre porte avec ma mère, et je lisais la tristesse sur son visage alors qu’elle observait le défilé d’enfants passant devant nous, chacun sa gamelle de fer blanc à la main, leurs orteils sortant de leurs chaussures râpées. "Oh mon fils !, me dit-elle alors, que jamais cela ne t’arrive ! Je préfère blanchir nuit et jour et user mes mains jusqu’à l’os, plutôt que de te voir contraint de le faire !". Ma mère fut en effet aussi bonne que ses mots et jamais je n’eus à prendre la queue dans ce défilé vers la cure... De toute façon, ma mère n’était pas en grâce et n’avait pas les faveurs de la cure. On ne l’y jugeait ni assez modeste ni assez révérencieuse et je dois confesser qu’au fil des ans, elle ne s’est guère améliorée de ce point de vue. Elle était plutôt comme le vilain petit canard, l’épouse qui refusait d’être un modèle d’humilité et de reconnaissance à l’égard des Charbonnages et de leur pitié. (à suivre…)
La vie de Joseph Arch, pp.10-35, édition de 1898. Traduction par mes soins.
Newsletter
Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés.
Pages
Catégories
- 512 Politique
- 488 en lisant - en relisant
- 294 essais
- 128 poésie
- 77 IDENTITé(S)
- 67 LITTERATURE
- 66 entretiens-portraits
- 53 DE L'IMAGE
- 52 essai
- 36 Amour - Amitié
- 16 théâtre
- 2 danse