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La Dimension du sens que nous sommes

L’air du temps, Ludovic Hary

12 Septembre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant

ludovic.jpgPar décret, l’air a été raréfié, puis privatisé. Les habitués se firent plus rares au gymnase, et l’opposition finit par se taire. Seul le Pouvoir ne manquait pas d’air. Greg-la-cloche, lui, dormait. Sur un tas de lettres qu’il destinait à sa fille. Mon petit cœur, ma merveille… Des lettres qu’il n’avait jamais envoyées : il pensait n’avoir jamais su trouver le ton. Le mot juste pour lui dire combien il l’aimait. La ville, elle, n’avait vécu que pour le CAC 40. Greg avait fui cette symbolique assujettie à des logiques obscures. Il avait écrit des milliers de lettres à sa fille. Tandis que la ville se dépeuplait. Les gens vivaient sous terre désormais. Comme Fleur, silhouette fugitive dans la pénombre des souterrains. Et bien d’autres, rebelles à bout de souffle malgré leur rage contre le Pouvoir. Contre les semi-remorques en particulier, qui déportaient les gens.  Fleur avait quitté la terre avant qu’on ne la trie. Sous terre, une vraie galerie de personnages se fit jour. Organisant la dispersion du récit entre ces portraits farouches, sensibles, émouvants, comme si le monde ne tenait plus à grand-chose. Quelques visages, à peine. Quand la ville d’en haut ne jurait que par les marchés financiers. Des entités qui avaient fini par défaire la société.  Briser les communautés. Les identités.  Il aurait fallu prendre la parole contre les flux financiers, contre leur sémantique inhumaine. Mais il était peut-être trop tard. Les autorités s’employaient déjà à siphonner l’air du sous-sol. On payait cher désormais l’impôt sur l’air. Et parce qu’on en manquait et qu’on était à bout de souffle, l’estime de soi dégringolait jour après jour vertigineusement. Fleur luttait toujours. Comme elle pouvait. Et Greg, l’un des rares à ne pas payer l’impôt. La guerre était en cours. Les autorités aspiraient l’air. Une histoire de souffle. Du manque tragique de souffle de l’Histoire.  Dans un récit où la langue s’effiloche, ou la grammaire, la syntaxe, la sémantique s’étiolent. Qui parle ou ne parle plus n’a pas d’importance. Ça parle encore, et c’est bien tout, comme un flux héraclitéen charriant la débandade du monde et des moyens d’en parler encore.
L’air du temps, Ludovic Hary, éd. Folies d'encre, à paraître le 26 septembre 2013, ISBN-13: 978-2907337885.     Image : Ludovic Hary.
 
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